LE VOYAGE EN TRAIN DU MOIS – Le voyage à bord de l’Océan de Montréal jusqu’aux rivages de l’Atlantique, à Halifax, est tout à la fois un mélange de paysages féériques et une plongée dans un autre temps.

Trois locomotives diesel surpuissantes traînent un immense convoi ferroviaire de marchandises à quelques centaines de mètres du centre-ville de Montréal. Le chauffeur du Canadien National mène son train au pas, déclenche sa corne de brume, passe la tête pour admirer le canal Lachine, puis le quartier de Griffintown, le nouvel univers des bobos anglophones montréalais. À peu près au même moment, un train de voyageurs se dirige vers les entrailles du centre-ville, où la gare centrale Via Rail a ses quartiers en sous-sol. Un panonceau électronique détaille les rares départs du jour : Québec, Ottawa, Halifax et c’est à peu près tout.

Le bâtiment des chemins de fer canadiens se compose d’une vaste salle, avec sur ses côtés des échoppes de restauration rapide et, au centre, l’accès vers les trains, situés en souterrain. La salle des pas perdus est encore bondée des derniers banlieusards, en cette fin d’après-midi. Les passagers de L’Océan, Montréal-Halifax, prévu à 18h15, patientent dans le lounge de Via Rail tout proche. Deux employés de l’entreprise de chemins de fer saluent les passagers, vérifient leurs billets, avant qu’ils n’entrent dans L’Océan. D’autres indiquent sur le quai le wagon de chacun, non sans faire preuve d’une grande courtoisie, si canadienne.

Le long du fleuve Saint-Laurent

Deux employés de l’entreprise de chemins de fer saluent les passagers, vérifient leurs billets, avant qu’ils n’entrent dans L’Océan.
Via Rail

La cabine, il y en a dix par wagon, est constituée d’une banquette qu’il suffit de basculer le moment venu pour la transformer en lit. La salle d’eau, bien exiguë, abrite une douche. Si la publicité de Via Rail est un brin exagérée, «L’Océan de charme et de confort», ces compartiments privés, dont les modèles accueillent d’une à quatre personnes sont très fonctionnels, à l’américaine, mais loin d’être luxueux. « L’Océan utilise des voitures Renaissance, construites en 1995-96. Les dernières rénovations majeures datent de 2014, le train peut compter aussi peu que 12 voitures, tandis qu’en période de pointe, il peut en avoir jusqu’à 18, sans oublier les deux locomotives. Il y a des voitures voyageurs, deux de bagages, une de restaurant et des voitures lits dont le nombre est variable », confient au Figaro les porte-parole de Via Rail.

L’Océan enjambe le pont Victoria, construit en 1854 par les Amérindiens Mohawks et les immigrants irlandais, domine le majestueux fleuve Saint-Laurent, que l’Océan longera une bonne partie du trajet. Le convoi ferroviaire s’ébroue, tel un animal perclus de douleurs. Il est vieux cet Océan. Les wagons s’entrechoquent. La motrice atteint sa vitesse de croisière. Le convoi avale prudemment les kilomètres et, très vite, les passagers, il y en a 65.000 par an, sombrent dans une douce langueur. Le premier arrêt a lieu à Sainte-Foy, l’une des deux gares de Québec, après la traversée du pont de Québec. L’hiver, il faut parfois attendre que les ouvriers du chemin de fer dégèlent les rails. Mais la vue de ce Saint-Laurent gelé est si impressionnante que l’attente est presque un plaisir. Le train continue sa route le long du fleuve jusqu’à la belle Gaspésie. Voici Rivière du loup, puis Rimouski et la Matapédia. Tout au long du voyage, le convoi longe les États-Unis et l’État du Maine.

À petite vitesse

Le train, avec, en fond, les montagnes Rocheuses.
Via Rail

À tout sauf un train d’enfer, puisque la vitesse moyenne pour parcourir les 1346 kilomètres entre la métropole québécoise et celle de la Nouvelle-Écosse, Halifax, est de 60 km/h… lorsque le train respecte son horaire, ce qui est rare. « Via Rail (une société d’État) ne possède que 3 % du réseau sur lequel nous évoluons au Canada et nous sommes conscients que cela a un impact sur la performance de mes trains qui sont tout le temps en retard. L’Océan n’arrive pas à l’heure » a reconnu en septembre le président et chef de la direction de Via Rail Canada, Mario Péloquin.

Malgré cette douce lenteur, idéale pour profiter des paysages, des forêts et du fleuve, des mauvaises langues estiment que ce voyage en train est une promenade à cheval, tant les wagons se dandinent sur les rails. L’Océan date de 1904 et c’est un voyage dans le temps. La ligne est l’une des plus vieilles d’Amérique du Nord, exploitée au début du XXe siècle par l’Intercolonial Railway. Les locomotives martyrisent un peu les rails. Et puis on se demande si le fantôme de John Macdonald, l’un des pères du Canada, ne hante pas chaque wagon.

Au milieu des forêts coulent de minuscules rivières

Les chemins de fer sont les derniers vestiges du développement de la Confédération. La nostalgie se perçoit sur les visages des passagers. C’est grâce au train construit par des coolies chinois à la fin du XIXe dans des conditions parfois proches de l’esclavage que le Canada a grandi d’Est en Ouest. Le passé se rappelle parfois aux voyageurs un peu comme à l’aube de la Confédération et du temps des westerns, lorsque des guerriers mohawks ont érigé en 2020 des barricades sur les rails des chemins de fer du pays pour protester contre la construction d’un gazoduc sur des terres indiennes. La paix est revenue. C’est l’ouverture des rideaux au Nouveau-Brunswick.

Au milieu des forêts coulent de minuscules rivières. Voici l’Acadie, avec un arrêt dans sa capitale, Moncton. La traversée des provinces atlantiques, autrement appelées Maritimes, est aussi le meilleur moyen de vivre le quotidien des habitants, de voir ces Acadiens symboles de la résistance francophone. La région est de facto le seul endroit où l’on parle encore raisonnablement le français, hors Québec. Après le passage dans quelques bourgs, le train chemine dans les méandres de la petite Nouvelle-Écosse, pour arriver, épuisé, à Halifax pour souffler.

Pratique

Une «voiture lit Plus» à bord du train L’Océan.
Via Rail

Avec Via Rail. Départs les mercredi, vendredi et dimanche pour un peu moins de 24h de la gare centrale de Montréal (métro : Bonaventure).

Wi-fi dans le train.

Tarif pour 2 personnes en voiture-lits Plus : entre 720 $Can (480 euros) et 900 $Can (600 euros) l’aller simple, selon les dates. Réductions pour les plus de 65 ans.

Réservations Via Rail : SIEL CANADA 8, rue Collart – L-8414 Steinfort – Grand-Duché de Luxembourg. Tél. : (+352) 33 77 38.