Les Nouvelles Publications : Vous êtes greffière associée au greffe du Tribunal des affaires économiques (TAE) de Marseille depuis plus d’un an. Quel est votre parcours ?
Pauline Oudenot : J’ai prêté serment le 24 novembre 2023 à Marseille. Je suis juriste spécialisée en droit des affaires et des entreprises en difficulté. J’ai suivi un parcours académique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où j’ai obtenu un master 2 en administration et liquidation des entreprises en difficulté, ainsi qu’un diplôme du Magistère de droit des activités économiques. Il s’agit d’un double diplôme spécialisant en droit public/privé des affaires. J’ai ensuite obtenu le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) et suis également lauréate du concours national de greffier du tribunal de commerce.
Mon parcours professionnel m’a permis d’explorer plusieurs facettes du monde juridique. J’ai travaillé au sein de tribunaux de commerce, notamment à Versailles (Yvelines) et Bobigny (Seine-Saint-Denis), où j’ai eu la charge du suivi des procédures collectives et du contrôle des formalités enregistrées au Registre du commerce et des sociétés (RCS). J’ai également eu une expérience professionnelle en cabinet d’avocats chez DLA Piper, dans le département Finance et restructuration, et j’ai eu l’opportunité d’enseigner le droit des entreprises en difficulté à l’université Paris 1 dans le cadre de travaux dirigés.
En parallèle, j’ai découvert l’univers parlementaire en tant que collaboratrice auprès de la députée Alexandra Louis*, ce qui m’a permis d’approfondir ma compréhension des enjeux législatifs et politiques liés au droit des affaires. Aujourd’hui, je continue à partager mon expertise dans les domaines juridique et économique, avec l’objectif de contribuer aux débats et aux décisions qui les façonnent.
Vous êtes une jeune greffière dans un univers qui reste encore majoritairement masculin. Comment vous inscrivez-vous dans la féminisation des acteurs de la justice consulaire ?
Le Baromètre 2024 de l’entrepreneuriat féminin, publié par Infogreffe et FCE France (Femmes Chefs d’entreprises), révèle que 33,1 % des créateurs d’entreprise sont des femmes, un chiffre stable par rapport à 2023. L’âge moyen des entrepreneures diminue, passant de 43 à 41 ans, témoignant d’un rajeunissement.
Ces données reflètent une dynamique que j’ai pu observer tout au long de mon parcours. En tant que juriste spécialisée en droit des affaires et des entreprises en difficulté, j’ai accompagné de nombreuses entrepreneures confrontées aux défis de la création et de la gestion d’entreprise. Le rajeunissement des femmes créatrices d’entreprise est particulièrement encourageant, car il témoigne d’une volonté accrue des jeunes femmes à s’engager dans l’entrepreneuriat.
© F. D. – Pauline Oudenot a prêté serment à Marseille en 2023.
Mon expérience en tant que greffière stagiaire dans différents tribunaux de commerce m’a permis de constater que les choix de structures juridiques, souvent orientés vers la flexibilité, sont cruciaux pour la pérennité des entreprises dirigées par des femmes.
Enfin, en tant qu’enseignante en droit des entreprises en difficulté, je m’efforce de sensibiliser les futures juristes aux particularités de l’entrepreneuriat féminin, afin qu’elles puissent apporter un soutien adapté aux créatrices d’entreprise.
Les métiers du droit continuent de se féminiser, bien que des inégalités subsistent selon les professions et les postes. En 2024, les femmes représentaient 56 % des Officiers publics et ministériels (OPM), dont les notaires, qui comptaient une proportion de 48 % de femmes. Dans la magistrature, les femmes constituent toujours la majorité, représentant environ 66 % des magistrats. La profession d’avocat reste largement féminisée, avec une augmentation continue de la part des femmes, bien que des différences demeurent selon le statut, notamment entre avocats collaborateurs et associés. Les greffiers, quant à eux, sont majoritairement des femmes (88 %). Ces chiffres de 2024 montrent une féminisation marquée, mais soulignent aussi les défis à surmonter pour atteindre une égalité totale, notamment dans les postes de direction.
Allez-vous mettre en place des actions à ce sujet ?
Nous allons organiser une réunion avec l’association Femmes Chefs d’entreprises au sein du tribunal des affaires économiques afin de leur présenter le fonctionnement de la justice consulaire et de les inciter à s’engager en devenant juge consulaire.
Quelle place tient le greffe de Marseille dans l’écosystème judiciaire et économique du territoire ?
Le greffe du tribunal des affaires économiques de Marseille se trouve à une place centrale de par son activité importante et ses missions. Le greffe de Marseille reste l’interlocuteur premier des justiciables en matière économique dans le cadre de ses missions de tenue des registres légaux, ou du RCS. Son équipe joue un rôle pédagogique, surtout ces derniers mois, avec la mise en place du Guichet unique qui est le réceptacle de toutes les formalités. On se retrouve être, nous aussi, destinataires des mécontentements des utilisateurs, et notre équipe essaie, tant bien que mal, de les assister dans leurs démarches et formalités.
Avec la mise en place du Guichet unique, les greffes sont engagés dans une dynamique de dématérialisation. Comment se traduit-elle ?
Au-delà du Guichet unique, les greffes, via notamment le site infogreffe.fr, ont développé des outils numériques au service des entrepreneurs.
Le greffe et le TAE de Marseille sont également engagés dans le développement de la signature électronique des décisions de justice. Nous le mettons en place en lien avec les 80 juges. Tous les présidents de chambre ont déjà eu leur clef électronique.
Nous sommes tous engagés dans un cercle vertueux, puisqu’on sait que la dématérialisation va permettre une optimisation des process et donc de la justice consulaire.
© F. D. – Avec Infogreffe, les greffes permettent aux entrepreneurs d’accéder à des services dématérialisés.
Alors que les échanges se font de plus en plus via le numérique, allez-vous maintenir ouvert le guichet de la rue Grignan ?
Est-ce que le greffe de Marseille a vocation à maintenir un guichet ouvert ? Nous nous questionnons. Néanmoins, nous gardons ces guichets ouverts. La dématérialisation facilite beaucoup les échanges, mais pour l’instant, on ne peut pas tout gérer sans passer par du contact physique et encore parfois par du papier. Il existe encore un certain nombre de formalités qui ne fonctionnent pas sur le Guichet unique et pour lesquelles nous n’avons pas d’autres solutions à l’heure actuelle.
Ce guichet permet de garder un côté humain. C’est important pour mon associé et moi. En parallèle de cette dynamique lancée autour de la dématérialisation, nous allons organiser des rendez-vous avec les formalistes, les utilisateurs du Guichet unique. L’idée est d’échanger sur les perceptions, les attentes, et comment améliorer les choses. Nous intervenons aussi régulièrement au barreau de Marseille. Nous échangeons aussi fréquemment avec les experts-comptables. L’important est de rester à l’écoute.
Quelles sont les nouvelles compétences du greffe de Marseille, notamment avec la transformation du tribunal de commerce en tribunal des activités économiques ?
L’expérimentation du Tribunal des activités économiques (TAE), initiée le 1er janvier 2025, vise à centraliser le traitement des procédures amiables et collectives des professionnels en difficulté au sein d’une seule juridiction. Traditionnellement, ces compétences étaient partagées entre le tribunal de commerce, compétent pour les commerçants et artisans, et le tribunal judiciaire, compétent pour les autres professions.
Désormais, le TAE est seul compétent pour traiter des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire et des procédures amiables pour tous les professionnels, quel que soit leur statut ou leur activité, à l’exception des professions réglementées du droit qui restent sous la compétence du tribunal judiciaire.
© Robert Poulain – La première rentrée solennelle du tribunal des activités économiques de Marseille s’est déroulée ce 16 janvier 2025.
Douze tribunaux de commerce ont été renommés tribunaux des activités économiques dans le cadre de cette expérimentation. Il s’agit de ceux d’Avignon (Vaucluse), Auxerre (Yonne), Le Havre (Seine-Maritime), Le Mans (Sarthe), Limoges (Haute-Vienne), Lyon (Rhône), Nancy (Meurthe-et-Moselle), Nanterre (Hauts-de-Seine), Paris, Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), Versailles (Yvelines) et Marseille, qui est présidé par Patrick Lesbros. Ces TAE sont composés de juges consulaires issus des tribunaux de commerce, de juges exerçant la profession d’exploitant agricole et de greffiers des tribunaux de commerce. Le droit applicable demeure inchangé.
Cette expérimentation, qui s’étend jusqu’au 31 décembre 2028, a pour objectif d’évaluer l’intérêt d’une juridiction unique pour ces procédures. Un comité composé d’experts et de parlementaires est chargé de remettre un rapport d’évaluation au Parlement avant le 1er juillet 2028. De plus, un questionnaire de satisfaction est mis à disposition des justiciables dans chaque TAE pour recueillir leurs avis.
Les greffes ont aussi des missions de police économique. Comment cela se traduit-il au sein du greffe de Marseille ?
Les greffiers des tribunaux de commerce exercent une mission de service public clé, alliant les aspects judiciaires et économiques. Ils accompagnent les entreprises à chaque étape de leur existence, de la résolution de litiges à la gestion des difficultés financières. Leur rôle comprend l’enregistrement des demandes, l’assistance lors des audiences, l’authentification des décisions et la gestion des procédures collectives. Ils contribuent également à la prévention des difficultés des entreprises en détectant les signes de crise et en facilitant les démarches pour éviter la cessation de paiement.
© F. D. – Le TAE de Marseille avec ses 80 juges consulaires fait partie des plus importants de France.
Les greffiers des tribunaux de commerce sont responsables de la gestion des registres légaux des entreprises, dont le Registre du commerce et des sociétés (RCS).
Ils vérifient la régularité des actes et des déclarations, assurent l’immatriculation des entreprises et la mise à jour du RCS, ce qui confère à ces entreprises leur personnalité morale. Les greffiers délivrent également l’extrait Kbis, équivalent à un acte de naissance pour les entreprises. Leur rôle est essentiel pour garantir la transparence et la sécurité juridique des transactions commerciales.
Quel rôle joue le greffe dans la fraude économique et le blanchiment des capitaux ?
Les greffiers des tribunaux de commerce surveillent les déclarations des entreprises pour identifier des anomalies ou des comportements suspects, notamment dans les registres légaux. Ils peuvent alerter les autorités compétentes en cas de soupçon de fraude ou de manquement aux obligations liées à la Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), contribuant ainsi à garantir la transparence et la sécurité des transactions commerciales.
Le greffier du tribunal de commerce exerce des missions de police économique visant à sécuriser la vie des affaires et à prévenir les fraudes. Il effectue un contrôle rigoureux des actes et statuts déposés afin de s’assurer de leur conformité avec les déclarations effectuées. Il vérifie également la cohérence et la validité des pièces d’identité fournies (CNI**, passeport, titre de séjour), grâce notamment à une formation spécifique à la détection des faux titres et au dispositif Docverif.
Le greffe est aussi une entreprise. Comment gérez-vous cette dernière ?
J’ai eu de la chance. Ma prédécesseur, Maître Florence Zenou, m’a accompagnée et m’a formée pendant un an. Elle m’a permis de prendre ma place.
Cela n’a pas été facile au début, parce que jeune chef d’entreprise, je me suis retrouvée à diriger, manager des salariés qui étaient parfois plus âgées que moi et qui avaient, bien entendu, beaucoup plus d’expérience que moi. Je me suis investie en mettant en avant mes valeurs et en travaillant en équipe.
Le greffe de Marseille comprend une trentaine de salariés. Comme un bateau, chaque membre de l’équipage doit ramer dans la même direction. Alors bien sûr, il faut un capitaine qui dirige, mais le capitaine travaille aussi. Je fais du management par l’exemple. J’ai mis la main dans le « cambouis » et je pense que c’est comme ça que j’ai réussi à m’intégrer.
* Députée de la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône (13e arrondissement de Marseille, ainsi qu’une partie des 12e et 14e) de 2017-2022.
** Carte nationale d’identité.