INTERVIEW – Double actualité à Cannes et à Avignon pour le sculpteur qui rayonne avec ses œuvres en verre d’une poésie infinie.

Sa signature ? Le verre, un matériau qui lui permet de jouer avec la lumière, la transparence et les couleurs. En témoigne ce Kiosque des noctambules, composé de perles soufflées à Murano, qui marque une des entrées du métro Palais Royal-Musée du Louvre, à Paris, depuis vingt-cinq ans. À l’image de ce chef-d’œuvre, l’ambition du sculpteur est la quête perpétuelle de beauté. Notion aussi subjective qu’insaisissable. À Cannes, il disperse sa Poussière d’étoiles. À Avignon, il fait se rencontrer le Cosmos et la poésie de Pétrarque.

Madame Figaro. – Vous apportez un soin tout particulier aux titres de vos expositions. Pourquoi avoir intitulé celle-ci Poussière d’étoiles ?
Jean-Michel Othoniel. – Il s’agit d’un hommage à l’or, ce minerai que j’ai utilisé dans beaucoup de mes œuvres. C’est un matériau issu des étoiles, et plus particulièrement de la collision de deux supernovæ. Cet impact a propulsé des millions de tonnes d’or stellaire à travers l’espace, dont certains fragments ont atteint notre monde, ses continents et ses mers. Puisque j’expose ces pièces dorées à la feuille jusque sur la façade de la Malmaison et sur le boulevard de la Croisette, à Cannes, près du Palais des festivals, c’est aussi un clin d’œil aux stars de cinéma.

 »
data-script= »https://static.lefigaro.fr/widget-video/short-ttl/video/index.js »
>

On se souvient de l’une de vos expositions intitulée Le petit théâtre de Peau d’Âne. Les films de Jacques Demy sont-ils une source d’inspiration ?
Son univers me touche parce que poétique et joyeux. Il véhicule un message d’enchantement ou de réenchantement qui me semble plus que jamais d’actualité. Peau d’Âne est le premier film que j’ai vu enfant. Comme beaucoup, j’ai été ébloui. Mais, en dehors du fait qu’il est devenu un classique pour sa musique, son scénario, ses acteurs ou ses couleurs, il est aussi important parce qu’il a été tourné après les événements de mai 1968. Dans cette période de chaos, Jacques Demy a créé une œuvre complètement poétique qui donnait un message d’espoir.

Quel est celui que vous aimeriez à votre tour transmettre ?
Quitte à paraître naïf, je recherche la beauté à travers toutes mes œuvres. Dans L’Idiot, Dostoïevski a écrit : «La beauté sauvera le monde.» J’en ai découvert la force au fil des ans. La beauté doit vous surprendre et vous combler à la fois. C’est une notion abstraite qui échappe à la raison. Elle permet d’arriver à un état de contemplation et de ressource intérieure. Pour moi, elle doit être radicale et en même temps populaire. Par exemple, tout le monde s’accorde à trouver beau un coucher de soleil. Quand je travaille, je recherche moi aussi ce moment qui me permettra d’entrer en contact avec un large public tout en restant sur le fil du rasoir grâce à la matière, le verre, qui permet d’exprimer un sentiment de fragilité.

Est-ce exact qu’un voyage en Sicile en 1992, sur les Îles Éoliennes, vous aurait donné envie de travailler le verre ?
Oui, notamment l’île de Vulcano, connue pour son activité volcanique. À mon retour de l’archipel, je suis parti au Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, NDLR), à Marseille. Au plus proche des souffleurs de verre, j’ai compris que ce métier nécessite une vie d’apprentissage. Il faut vingt-cinq ans pour devenir maître verrier. Pour souffler des formes telles que je les imagine, il me faut des virtuoses que je vais chercher dans le monde entier. Et puisque j’expose à Cannes, pendant le festival, savez-vous que les îles Éoliennes sont célèbres parce que Roberto Rossellini y a tourné Stromboli ? Il reste aujourd’hui une plaque sur la façade d’une maison où a dormi l’actrice Ingrid Bergman.

Le Grand Collier, de Jean-Michel Othoniel, exposé à Cannes.
Othoniel Studio/Service Presse

Vous êtes surtout connu comme sculpteur, mais le dessin semble être important dans votre processus…
Tout part de lui, quel que soit le projet. Il est primordial pour moi de garder la main, si j’ose dire, car, bien que je sois très présent à l’atelier, je ne souffle pas mes œuvres.

Comment avez-vous conçu le parcours de l’exposition à la Malmaison, à Cannes ?
Je me suis laissé guider par le lieu : la Malmaison est située face à la Méditerranée et dialogue avec le paysage. Il y a donc le ciel surexposé et la mer lumineuse, deux bleus l’un au-dessus de l’autre. J’ai créé une installation à l’échelle de la villa pour faire entrer ce bleu azur à l’intérieur. Au rez-de-chaussée, j’ai pavé le sol de briques bleues, afin d’évoquer une mer calme, sur laquelle j’ai posé les œuvres. Et à l’étage il y a des fontaines, accompagnées de peintures, maquettes, dessins, autour de cette obsession pour l’or. Un alphabet doré dans le paysage.

Vous intervenez au même moment dans dix lieux d’Avignon. S’agit-il d’un hasard de calendrier ?
Pas du tout, les événements sont liés. D’ailleurs, le fil le plus évident est le titre qui réunit l’ensemble des expositions d’Avignon, Othoniel Cosmos ou les fantômes de l’amour. Il s’agit toujours de ce milieu interstellaire, des étoiles, de l’or et aussi de la poésie de Pétrarque. J’ai imaginé un parcours qui se déploie comme une constellation autour du Palais des papes. J’occupe quinze salles de cet édifice gothique, dont certaines mesurent 19 mètres de haut. La gageure a été de présenter des œuvres – 240 dont 160 inédites en France – dans dix lieux de la ville, tout en donnant l’impression qu’il s’agit d’une seule et même exposition. Des sculptures seront installées sur la scène de la cour d’honneur où Carolyn Carlson et Hugo Marchand vont danser les 1er et 2 août. C’est une belle manière d’enchanter la ville, dont on m’a donné la clé, ou plutôt les trois clés, comme il est indiqué sur le blason d’Avignon.
Poussière d’étoiles, du 17 mai au 4 janvier 2026, à Cannes ; Othoniel Cosmos ou les fantômes de l’amour, du 28 juin au 4 janvier 2026, à Avignon.