Le président de la Fédération française a dévoilé des mesures pour tenter de sortir le football professionnel de la crise.
Face à la crise, place aux grandes manœuvres. Si la semaine qui vient de s’écouler fut majestueuse avec la qualification en finale de la Ligue des champions du Paris SG et un rendez-vous historique face à l’Inter Milan le 31 mai à Munich, cela n’empêche pas de garder à l’esprit le tableau d’ensemble catastrophique du football professionnel français. Le feu couve à tous les étages. Entre une image dégradée par des conflits multiples et des guerres intestines interminables, une Ligue 1 quasi-invisible, la baisse colossale des droits TV, l’incertitude audiovisuelle qui plane sur la saison prochaine, le piratage ou encore le déficit des clubs estimés à 1,3 milliard par la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), la situation globale fait peur à voir. Le précipice n’a jamais été aussi proche. Des clubs flirtent avec la banqueroute.
Aux grands maux, les grands remèdes : Philippe Diallo tente de frapper fort et de marquer les esprits. Il l’a annoncé ce lundi au siège de la Fédération française de football (FFF) au cours d’une conférence de presse. Avec ni plus, ni moins, la volonté, entre autres, de supprimer la Ligue de football professionnel, en la remplaçant par une société commerciale de clubs. Après avoir consulté, écouté et analysé les retours des trois groupes de travail autour de la gouvernance, la régulation financière ou le développement économique, Philippe Diallo, avec l’appui de la ministre des Sports, Marie Barsacq, présente à ses côtés, lance des propositions qu’il souhaite voir validées par les différents acteurs. États des lieux d’une séquence qui peut chambouler l’avenir du football professionnel français.
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Une réforme profonde du football français
« Ce n’est pas de la cosmétique, c’est un projet de rupture, innovant qui vise à mettre les conditions d’un futur rebond du football professionnel », annonce le président de la FFF, réélu en décembre dernier pour un mandat de quatre ans (2024-2028). La volonté de ce dernier est claire : réformer en profondeur. « Ce n’est pas une question d’hommes, mais d’architecture », prévient-il, sans citer le nom de Vincent Labrune, dont l’avenir semble plus que condamné si les réformes passent.
« Je propose des visions, une alternative, et ce que je fais, là, aurait dû être fait par la Ligue. C’est elle qui aurait dû mener ce débat pour savoir comment sortir de la crise. Je me suis aperçu que ce n’était pas possible parce qu’il y avait trop de dissensions, alors je prends mes responsabilités. Et pas simplement pour mettre des rustines à droite ou à gauche car cela fait quatre ou cinq ans que l’on est en difficulté et que l’on prend de mauvaises décisions. »
Avec un football professionnel français au bord du gouffre, Philippe Diallo a tenu à dévoiler ses mesures phares. Le temps presse car, le 10 juin prochain, le Sénat examine une proposition de loi des sénateurs Michel Savin (LR) et Laurent Lafon (UDI) sur la gouvernance du sport professionnel. Diallo, en fin politique, a son plan en tête, tout comme un calendrier bien précis pour imaginer football de demain. Et stopper la spirale infernale.
Débat au Sénat en juin, puis à l’Assemblée nationale et un vote « avant la fin de l’année 2025 » avec une exécution de la loi « au mieux lors de la saison 2026-2027 ». Et le successeur de Noël Le Graët d’ajouter : « Si le football français est d’accord, dès le 12 au soir, nous entamerons les démarches nécessaires pour faire en sorte de convaincre la représentation parlementaire de porter les dispositions qui permettent la mise en œuvre effective de ce projet. Ce dispositif ne peut être mis en œuvre que si la proposition de loi est votée. »
Suppression de la LFP et passage à une société commerciale de clubs
C’est la proposition phare qui sera la plus commentée. Philippe Diallo souhaite que la FFF soit directement liée à une société commerciale de clubs, et valider ainsi la suppression/dissolution de la Ligue de football professionnel (LFP). Passer d’une Ligue qui était une association loi 1901 à une société commerciale entraînerait des conséquences profondes, en termes d’image et de refonte. Pour un bouleversement total de l’architecture du football français. Diallo sauterait sur l’occasion de la proposition de loi qui permettrait aux fédérations de retirer aux ligues professionnelles la « subdélégation de service public » qu’elles exercent en cas notamment de « manquement à l’intérêt général de la discipline » ou encore de « difficulté sérieuse de financement des activités sportives ».
Marie Barsacq et Philippe Diallo.
Baptiste Desprez
La LFP coche toutes les cases avec sa mauvaise gestion des dernières années. « Cela veut dire que, demain, il n’y aura plus de président élu à la Ligue puisque je désire que le management soit constitué de professionnels rémunérés pour diriger cette future entité », avance le président, solide sur ses appuis et qui défend l’idée d’une « Premier League à la française ». « Il faut que chacun passe au-dessus de ses intérêts individuels pour voir ce qui est bon pour le futur de notre football », persiste-t-il. Vincent Labrune appréciera.
Quid de Vincent Labrune et de Nicolas de Tavernost ?
Relancé sur l’avenir de l’actuel président de la LFP, réélu en septembre dernier malgré de vives tensions au sein des patrons de clubs professionnels, Philippe Diallo muscle son jeu et assure que Vincent Labrune « partage les options retenues ». Posture ou réalité ? La réaction du principal intéressé n’a pas tardé. Selon une source proche du dossier, « Labrune accompagne cette réforme qui implique la suppression du poste de président de la Ligue et donc par définition, qu’il n’aille pas au terme de son mandat ».
Et Diallo de préciser : « Si la proposition de loi (PPL) va à son terme, le président, que je vois plus comme un CEO, aura été choisi par les clubs, comme dans un entretien d’embauche. Ma première démarche n’est pas de destituer les uns et les autres mais de faire une analyse et des propositions. Après, viendra le temps des hommes, à savoir ceux qui seront les plus aptes à mener ces projets. Si Vincent veut se présenter, il peut. Mais il y aura un changement profond de la gouvernance car cela signifie la disparition de la LFP. Ce que je souhaite, c’est que le futur dirigeant de cette société commerciale soit quelqu’un qui soit recruté en tant que salarié, pour son expérience et ses compétences, et choisi par les clubs. »
Aujourd’hui, quand je regarde l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, nos voisins, je pense qu’ils ont été peut-être plus innovants par anticipation sur leur mode d’organisation
Philippe Diallo
Quoi qu’il se passe, Vincent Labrune traînera comme un boulet sa fameuse formule d’une Ligue 1 qui vaudrait 1 milliard d’euros. Aujourd’hui, elle vaut à peine 300 millions d’euros. Un vrai fiasco. Quand on lui souffle le nom de Nicolas de Tavernost (ex-patron du groupe M6 et des Girondins de Bordeaux), appelé à la rescousse pour prendre en main LFP Média début avril, et qui tend vers la création d’une chaîne sur le dossier explosif et indispensable des droits audiovisuels, l’ancien trésorier de la FFF adopte un discours plus en retenue et en rondeur.
« Aujourd’hui, par exemple, ce serait lui le “boss” de la future société commerciale des clubs, avance-t-il au sujet du dirigeant de 74 ans qu’il a vu à plusieurs reprises ces derniers jours et qu’il tient en haute estime. Sa mission est importante pour réenchanter notre univers et permettre aux clubs de retrouver la prospérité qui n’aurait jamais dû les quitter. Nicolas a une vraie connaissance du milieu, des hommes et des structures. C’est un professionnel des médias car il a dirigé une chaîne, et il peut nous apporter tout ça pour créer un produit, peut-être une chaîne demain, si c’est l’orientation qui est prise, avec certainement un partenaire, au moins, pour nous accompagner dans un métier qu’on ne connaît pas, et qu’on prenne les bonnes voies. Parce que je le redis, il y a une partie de circonstances dans la crise actuelle, puis il y a une partie de mauvaises décisions. » Vincent Labrune, brouillé avec Canal+, diffuseur historique du championnat de France, aura compris le message.
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Le poids de la FFF renforcé
Dans son intervention médiatique, Philippe Diallo a voulu marquer son territoire et prouver que la FFF était bien l’instance qui dirigeait le football français. Et non la LFP ou certains présidents de clubs. Une manière de reprendre la main. Des paroles qui doivent désormais être suivies d’actes forts. Ici réside la volonté de Diallo de se muer en dirigeant qui veut changer la donne. Il n’y arrivera pas tout seul, ni sans le soutien du monde professionnel. Si la loi est votée, le poids de la Fédération française de football sera renforcé avec la DNCG qui passerait sous sa responsabilité, ou encore la mise en place de droit de veto sur des « questions d’ordre général » (nombre de clubs dans l’élite, format des compétitions…).
Sans le dire, il n’a pas apprécié les nombreuses critiques à son égard sur son supposé manque de poigne ou encore sur la liberté totale offerte à Vincent Labrune et certains dirigeants de clubs. « Je veux que la FFF puisse avoir un regard plus étroit sur les décisions finales avec à l’avenir plus de capacités d’intervention, ajoute le dirigeant de 61 ans. C’est un changement majeur, mais comme on est dans une crise majeure, je pense que c’est peut-être aussi le bon moment de prévoir quelque chose qui est en phase avec notre époque. Aujourd’hui, quand je regarde l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, nos voisins, je pense qu’ils ont été peut-être plus innovants par anticipation sur leur mode d’organisation. »
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DNCG, répartition des droits TV, plafonnement de la masse salariale, limitation des effectifs, multipropriété…
Dans l’attente de la validation du processus de réforme, Philippe Diallo entend contenter aussi certains acteurs avec des mesures à court et moyen terme. Outre le passage de la DNCG sous la responsabilité de la FFF, d’autres propositions concrètes sont formulées : la renégociation d’une meilleure répartition des droits TV entre les clubs, la mise en place d’un plafonnement de la masse salariale des clubs « avec des détails à déterminer », la limitation du nombre de joueurs par effectif ou encore une réflexion sur la question de la multipropriété.
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La réalité est telle que les caisses des clubs, sauf à de rares exceptions, sont vides, et que la perspective incertaine des droits audiovisuels terrorise une bonne partie des dirigeants. Selon nos informations, une petite dizaine d’équipes de Ligue 1 et Ligue 2 sont en proie à de grandes difficultés financières avant leur passage devant le gendarme financier. « J’essaie d’être porteur d’une vision globale et j’aurais pu rester dans mon fauteuil », plante Diallo qui avance « ne pas partir la fleur au fusil », tout en insistant sur « la poursuite des débats » pour affiner les propositions dont certaines relèvent du champ d’action de la FFF et d’autres du législateur.
Quid de la suite si la loi était retoquée pour diverses raisons ? Philippe Diallo se veut offensif : « Si le Parlement et les clubs n’en veulent pas, c’est leur problème. Si personne ne veut de rien, si tout le monde considère que c’est bien qu’il y ait des clubs qui déposent le bilan… Je ne le prendrais pas à titre personnel. Je propose des choses, j’attends des projets alternatifs. Vous avez entendu, vous, des gens qui proposaient autre chose ? Il est temps que chacun prenne ses responsabilités. »