AboDéfi énergétique –
L’accord sur l’électricité est critiqué avant même d’être présenté
Le conseiller fédéral Albert Rösti dévoile mercredi le contenu de l’accord entre la Suisse et l’UE. Ce texte controversé suscite d’ores et déjà de vives tensions politiques.
Publié aujourd’hui à 18h36
Magdalena Martullo-Blocher attaque le deal européen de son collègue de parti Albert Rösti. Elle peut compter sur le soutien du président de l’USS, Pierre-Yves Maillard.
Montage: Jürg Candrian, A.S / Photos: KEYSTONE, Getty Images
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- Le conseiller fédéral Albert Rösti présentera mercredi l’accord sur l’électricité avec l’UE.
- L’autorité du marché de l’électricité met en garde contre des périodes de panne d’électricité généralisée en hiver 2035 si la Suisse n’a pas d’accord d’ici là.
- Magdalena Martullo-Blocher, vice-présidente de l’UDC, craint de perdre le contrôle des barrages suisses.
Le conseiller fédéral Albert Rösti présentera mercredi l’accord sur l’électricité entre la Suisse et l’UE. Il vise à garantir une participation équitable des acteurs suisses au marché intérieur européen de l’électricité. Mais ce texte est loin de faire l’unanimité. Les débats politiques s’annoncent des plus vifs.
Pourtant, selon la Commission fédérale de l’électricité (ElCom), le temps presse. D’ici à dix ans, la Suisse pourrait être confrontée à une pénurie d’électricité en hiver, notamment parce que les deux réacteurs nucléaires de Beznau ne fonctionneront plus. L’ElCom recommande donc la mise en place d’énergies de réserve d’une puissance équivalente à celle d’une grande centrale nucléaire, sachant que, pour être réaliste, il faudrait sans doute construire des centrales à gaz.
Si la Suisse n’a pas conclu d’accord sur l’électricité d’ici à 2035, la situation s’annonce d’autant plus précaire. Selon une simulation de l’ElCom, il faudrait alors, dans le cas extrême, des réserves d’énergie jusqu’à quatre fois plus importantes qu’actuellement. La puissance nécessaire de 3,8 gigawatts équivaut à quatre grandes centrales nucléaires ou quatre grandes centrales à gaz. Toutefois, selon Urs Meister, directeur de l’ElCom, il ne serait guère rentable économiquement d’avoir autant de centrales de réserve.
Un accord désavantageux pour la Suisse
Malgré ces mises en garde, l’accord est loin de faire l’unanimité auprès des partis. En effet, la Suisse devrait faire des concessions à l’UE au détriment des ménages privés. Magdalena Martullo-Blocher et Pierre-Yves Maillard, deux poids lourds de la politique suisse, s’y opposent. Magdalena Martullo-Blocher est vice-présidente de l’UDC, conseillère nationale et patronne d’Ems-Chemie. Le Vaudois Pierre-Yves Maillard, lui, est président de l’Union syndicale suisse (USS) et conseiller aux États socialiste. Tous deux font partie des rares privilégiés qui ont déjà pu prendre connaissance du texte.
«Les grands groupes d’électricité veulent livrer encore davantage à l’étranger», critique la vice-présidente de l’UDC, Magdalena Martullo-Blocher.
Hervé Le Cunff
La patronne d’Ems-Chemie craint que la Suisse ne puisse plus décider librement des questions énergétiques: «Nous nous engagerions à faire passer les intérêts de l’UE avant les nôtres et à reprendre la politique énergétique de l’UE.» Et selon elle, le marché suisse de l’électricité devrait alors «être complètement réorganisé». Avec comme conséquence une forte régulation, des coûts élevés et un mauvais approvisionnement. Elle met également en garde contre une perte de contrôle sur les réserves d’électricité dans les barrages. «L’UE ne nous accorde ses propres réserves d’électricité ou des redevances hydrauliques que pendant une période transitoire», dénonce-t-elle.
Pour l’élue, l’accord n’est pas avantageux pour la Suisse: «Il existe déjà aujourd’hui des échanges techniques entre notre pays et l’UE. Nos réseaux sont connectés.» Selon elle, le traité est avant tout soutenu par les entreprises d’électricité telles qu’Axpo et BKW. «Les grands groupes d’électricité veulent livrer encore davantage à l’étranger et obtenir plus de subventions.» Mais les entreprises d’électricité oublieraient «que c’est désormais l’UE qui détermine quand nous devons produire quelle quantité d’électricité».
Contre une libéralisation du marché
Pierre-Yves Maillard s’oppose lui aussi à l’accord. Sa principale critique est que l’UE exige de la Suisse qu’elle ouvre le marché de l’électricité aux ménages privés. «Nous nous opposerons à l’accord sur l’électricité, car le marché de l’électricité serait alors entièrement libéralisé.»
«Il serait désastreux de laisser la production d’électricité au marché et aux acteurs privés», met en garde le président de l’USS. Car, selon lui, personne n’investit dans de nouvelles centrales lorsque les prix sont bas ou imprévisibles. Alors que, dans les faits, de nouvelles centrales seraient nécessaires pour l’avenir.
Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, est du même avis que Magdalena Martullo-Blocher.
Jean-Bernard Sieber
Le Vaudois craint également que l’électricité fasse soudain l’objet de spéculations: «Les acteurs d’un marché de l’électricité entièrement ouvert à la concurrence auraient intérêt à provoquer des pénuries d’électricité et à faire ainsi grimper les prix.» L’accord entraînerait donc, selon le syndicaliste, «de fortes fluctuations de prix, des spéculations et des black-out». C’est déjà ce qui s’est passé aux États-Unis et dans l’UE, où ces ouvertures complètes des marchés ont été réalisées, précise-t-il.
Quid du parlement?
Pour l’heure, les partis politiques ne se sont pas encore officiellement prononcés. La pression est moins forte que pour les autres accords bilatéraux. En effet, le paquet de l’UE n’est pas remis en cause si la Suisse rejette l’accord sur l’électricité.
Au parlement, le résultat s’annonce malgré tout serré. Le conseiller national Christian Wasserfallen (PLR/BE), se montre pessimiste: «L’accord sur l’électricité est important, car la garantie de la stabilité du réseau au-delà des frontières rendra l’approvisionnement en électricité plus sûr.» Malgré tout, il ne voit «pas de majorité au parlement pour le moment». Selon lui, le PLR est le seul parti aux Chambres fédérales à soutenir l’ouverture du marché de l’électricité. Il craint qu’une grande partie des parlementaires de gauche se joignent aux syndicats et rejettent le traité.
Le vice-président du PS et conseiller national (PS/GR) Jon Pult se montre moins catégorique. «Dans l’intérêt de la sécurité de l’approvisionnement et du tournant énergétique, les politiciens de notre parti sont en principe favorables à une solution, mais pas à n’importe quel prix.» Le PS ne prendra sa décision que lorsque le texte sera disponible, souligne-t-il.
Le président de l’UDC veut protéger les ménages
L’UDC ne s’est pas non plus encore officiellement positionnée. «En tant que parti, nous n’avons pas encore pris de position définitive sur l’accord sur l’électricité avec l’UE», confirme son président, Marcel Dettling. Mais tant qu’il y aura «une reprise automatique du droit européen, des juges étrangers et des mesures pénales, nous ne pourrons pas le soutenir».
Le président de l’UDC, Marcel Dettling, craint que les petites centrales électriques ne disparaissent si l’accord sur l’électricité est conclu.
Jonathan Labusch
Tout comme le syndicaliste Pierre-Yves Maillard, Marcel Dettling critique le fait que «les ménages privés seraient exposés aux fortes fluctuations des prix de l’électricité». Le président de l’UDC regrette «qu’avec l’accord, les communes ne puissent plus gérer leurs petites centrales électriques de manière autonome. Elles devraient fusionner avec de grands groupes d’approvisionnement en électricité», explique-t-il.
D’un point de vue juridique, les petites régies communales ne seraient certes pas obligées de renoncer à leur indépendance. Mais dans la réalité, beaucoup d’entre elles devraient effectivement fusionner avec de grands fournisseurs, car elles ne pourraient plus s’imposer seules sur le marché. De nombreuses régies communales ne seraient alors plus que des exploitants de réseau.
Si la Suisse ouvre complètement le marché de l’électricité comme l’exige l’UE, les ménages privés pourraient alors choisir eux-mêmes leur fournisseur d’électricité. Dans le meilleur des cas, les ménages profiteraient de prix de marché bas. Mais dans le pire des cas, les factures d’électricité pourraient devenir très élevées. Car celles et ceux qui ne veulent pas prendre de risques pourraient continuer à acheter leur électricité auprès de leur fournisseur de base.
Un élément devrait toutefois jouer en faveur du ministre de l’énergie, Albert Rösti: l’ElCom a revu à la hausse les prévisions de consommation pour la Suisse. «Dans le scénario que nous avons choisi, avec une forte évolution de la demande, la consommation d’électricité en hiver 2035 est supérieure d’environ 10% à celle des perspectives énergétiques faites en 2020», fait remarquer le directeur de l’ElCom, Urs Meister.
Selon lui, les prévisions ont été revues à la hausse en raison de la mobilité électrique et des centres de données, qui prennent de l’ampleur en Suisse. Le fait qu’il faille encore davantage d’électricité que prévu augmente la pression pour un accord avec l’UE.
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Se connecterMischa Aebi est rédacteur au Palais fédéral pour la «SonntagsZeitung». Auparavant, il a travaillé comme journaliste à la rubrique Suisse de la «Berner Zeitung». Avant de devenir journaliste, il a notamment enseigné les mathématiques et la physique à l’école professionnelle de Berne.Plus d’infos@mischa_aebi
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