Au premier trimestre 2025, la santé était le principal secteur d’investissement au Royaume-Uni, les start-up du secteur ayant généré 1,8 Md$, selon une étude de HSBC Innovation Banking et Dealroom. Les levées de fonds qui opèrent sur le marché des TechBio, la discipline à la croisée de la technologie et de la biologie, ont contribué à ces bons résultats, la plus importante provenant de la société Isomorphic Lab, filiale de DeepMind, qui a levé 600 M$ en mars dernier pour poursuivre le développement de son moteur de conception de médicaments et faire progresser son pipeline de candidats.

Si la concurrence y est forte, difficile pour les investisseurs étrangers d’y trouver leur place. “Le marché britannique est extrêmement bien financé, avec beaucoup d’options de financement notamment pour les projets qui sont issus des grandes universités. Nous avons souvent interagi avec ces centres académiques, mais nous n’avons pas converti beaucoup d’opportunités” témoigne à mind Health Rémi Soula, serial entrepreneur depuis vingt ans dans les biotechnologies et cofondateur du start-up studio Argobio.

En marge du baromètre 2025 de l’AFCROs sur la recherche clinique en Europe, Anne Peron a porté une analyse sur le marché britannique, qui “a su prendre des mesures pour contrer l’effet baissier post-Brexit. Les Anglais, ajoute-t-elle, ont fait beaucoup d’efforts en matière d’accès à la donnée, dans la mise en place des études (délais d’ouverture des centres, d’implémentation, de revue des dossiers, etc.). Ils ont aussi une façon anglo-saxonne de concevoir la recherche clinique, qui est différente de la tradition française, plus transactionnelle et moins axée sur la promotion de la recherche clinique et des écosystèmes”.

Ludovic Lamarsalle, cofondateur de la CRO Heva, a observé l’écart entre les modalités d’accès aux données en France et outre-Manche. “Il y a aujourd’hui en France une problématique sur les partenariats public/privé qui ont du mal à se développer et un problème de visibilité sur le coût. Nous n’avons pas de doctrine aujourd’hui sur le coût d’accès à la donnée pour un acteur privé. J’ai rencontré il y a peu de temps des personnes travaillant au CPRD (le service du ministère de la santé britannique qui gère les études rétrospectives et prospectives de santé publique et cliniques, ndlr) et ils disposent de cet écosystème. Vous pouvez savoir précisément à quel type de données vous pouvez avoir accès, combien les licences vous coûtent. Leur offre est très structurée, c’est ce qui manque à l’offre française”.

Un marché plus mature

Les entreprises de la Big Pharma nouent des partenariats stratégiques avec les acteurs innovants du marché de la TechBio britannique considéré comme “plus mature qu’en France” souligne en outre Maximilien Levesque, CEO et cofondateur d’Aqemia, parmi les fleurons de ce domaine en France, qui a récemment obtenu une subvention de 7,4 M€ dans le cadre de l’appel à projets i-Démo de France 2030, afin de renforcer sa plateforme d’IA générative pour traiter les cibles complexes. Isomorphic Labs a signé deux partenariats structurants en 2024 avec Eli Lilly et Novartis, qui pourrait, pour l’un, lui rapporter jusqu’à 1,7 Md$, et pour l’autre, jusqu’à 1,2 M$. 

Des fusions et acquisitions s’opèrent également pour accélérer le temps de découverte et de développement de médicaments, ainsi que le recrutement de patients pour les essais cliniques. La société de biotechnologie américaine Recursion Pharmaceuticals a acquis à l’été 2024 son homologue britannique Exscientia pour 688 M$. Au sein des pipelines de la société nouvellement fusionnée, 10 résultats cliniques sont attendus dans un horizon d’un an. Avant son rachat, Exscientia comptait 450 collaborateurs dans plus de 20 pays et six bureaux internationaux. Le siège de la spin-out de l’Université de Dundee (Ecosse) est basé à l’Oxford Science Park.

Dans le panorama que la cellule Data de mind Health avait consacré aux principaux investissements dans le domaine de la drug discovery et de l’IA en 2023, le Royaume-Uni figurait en deuxième position après les États-Unis. “Le marché britannique bénéficie de la dynamique de grandes entreprises comme Exscientia, BenevolentAI et Isomorphic Lab (filiale d’Alphabet, ndlr), ainsi que d’un écosystème universitaire innovant, reconnu pour l’étude de la structure des protéines”, indiquait dans le cadre de cette étude Amandeep Singh, chef de projet chez MP Advisors, un cabinet de conseil spécialiste de l’industrie pharmaceutique et la biotech. 

L’accès aux données est un enjeu majeur pour les TechBio. Dans son rapport annuel pour 2024, la UK BioIndustry Association (BIA), mentionne l’impact de la décision du secrétaire d’État à la santé d’ordonner au NHS England de partager les données des médecins généralistes avec les cohortes britanniques consenties au niveau national. “Ce changement permettra à UK Biobank et à d’autres cohortes de recherche d’accéder aux données anonymisées des participants” a déclaré Steve Bates, CEO de la  BioIndustry Association.

Le hub londonien, un vivier de talents

Certaines TechBio françaises veulent profiter de cette traction, à l’instar d’Aqemia, qui s’est installé à Londres au début de l’année, six ans après la création de l’entreprise. Maximilien Levesque explique à mind Health que cette stratégie permet d’accéder tout d’abord à “un pool de talent qui n’existe pas ou peu en France”. “L’écosystème londonien, dit-il, est plus mature que l’écosystème parisien sur certains types de profils tech ou en chimie. Il y a en particulier dans cet écosystème des sociétés comme Benevolent AI ou Exscientia qui ont déjà ouvert beaucoup de portes et ont fait des erreurs à partir desquelles nous essayons d’apprendre. Ils ont des talents de très grande valeur que nous essayons aussi de récupérer”, confie-t-il.

Maximilien Levesque observe que l’écosystème autour de la pharma et des biotechnologies y est aussi “plus développé qu’en France”, même si le marché français est “dynamique avec l’émergence de nombreuses sociétés, chaque année, issues de grands laboratoires”. “Dans 5 ou 10 ans, le marché français aura atteint la taille de l’écosystème londonien” estime-t-il.

À Londres, Aqemia a élu résidence au sein du Knowledge Quarter, proche de la gare de King’s Cross. Cette copie du Kendall Square à Cambridge (Massachusetts) rassemble un foule de talents, incluant notamment le Francis Crick Institute, un institut de recherche fondamentale en biologie, le London Bioscience Innovation Centre (LBIC) et plus récemment Novo Nordisk. Aqemia y a déjà recruté le Dr Veronique Birault en tant que VP Translational Sciences, auparavant Director of Translation du Francis Crick institute.