Un même polo noir, les mains croisées dans le dos, des chefs de prévention similaires et une amitié indéfectible, scellée dans deux cellules voisines de la prison des Baumettes, en 2014. Jugés depuis ce lundi 12 mai pour « association de malfaiteurs en vue de commettre un crime », notamment, Guy Orsoni, 40 ans et Anto-Simonu Moretti, 35 ans, se présentent en frères d’armes face à leurs juges du tribunal correctionnel de Marseille.
Les armes, ce sont celles en possession desquelles ils ont été interpellés le 19 octobre 2018, à Ajaccio : un Glock semi-automatique 9mm, une carabine à lunette et une arme longue distance chambrée d’une cartouche pouvant transpercer un blindage.
Pour l’accusation, l’arsenal devait servir à « abattre » Pascal Porri, présenté comme un membre de la bande criminelle corse rivale du Petit Bar. S’ils reconnaissent s’être trouvés sur une moto volée en possession d’armes, les deux prévenus contestent toute intention criminelle.
« Ce dossier nous a mis une cible dans le dos »
Lundi, à l’ouverture de l’audience, Guy Orsoni s’était longuement épanché sur « les circonstances » qui l’avaient amené à se lancer dans cette expédition à deux-roues, « armé jusqu’aux dents » selon le tribunal, refusant toutefois d’en dévoiler l’objectif final.
Ce mardi 13 mai, Anto-Simonu Moretti est sorti de son silence pour s’inscrire dans son sillage. Et de dérouler un parcours de vie jonché de morts violentes, de tentatives d’assassinats et d’immobilisme judiciaire, selon lui.
« Ma vie a basculé en 2010, quand j’ai été arrêté avec mon frère et mon cousin pour une tentative d’assassinat (contre Jean-Pierre Giacomoni, à Sartène, le 14 mai 2010. Un non-lieu a été prononcé en 2015, ndlr), commence le Sartenais. On est sorti de prison en juin 2011 et mon cousin a été assassiné juste après. Ce dossier nous a mis une cible dans le dos et évidemment, dans celui de mon cousin, il ne s’est rien passé. »
Lui-même victime d’une tentative d’assassinat en 2013, Anto-Simonu Moretti, désormais très loquace, déroule la liste de ses proches, dont les noms sont venus grossir les piles de dossiers corses instruits par la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille. « Vous décrivez un parcours dramatique et des ressorts inépuisables. Que vous ayez souffert et que vous ayez envisagé de faire souffrir d’autres, c’est tout l’objet de ce dossier. Mais comment en finir ? Qui va gagner ? Personne… », interroge le tribunal. « Tout ce que je veux, c’est quitter la France, répond le prévenu. Si je rentre en Corse, je finis entre quatre planches. J’ai enterré dix personnes. »
« J’ai pas hésité une seconde à monter sur cette moto »
Parmi elles, son père, Georges Moretti, assassiné en avril 2014 près de Sartène. « Mon frère et moi, on était en détention. Guy Orsoni était dans la cellule à côté de moi, il m’a soutenu et s’il n’avait pas été là, je me serais certainement suicidé. Alors quand il est venu me voir, j’ai pas hésité une seconde à monter sur cette moto », confesse Anto-Simonu Moretti. Pourtant, « si c’était à refaire, je le referais pas », assure le prévenu.
Guy Orsoni ne dit pas autre chose et décrit, lui aussi, un « basculement lié au climat de mort, de règlements de compte, d’insécurité » mais aussi à un refus de l’armée de le voir intégrer ses rangs.
Se présentant comme « l’héritier » d’un antagonisme ancien, datant « du clan Orsoni-Nivaggioni », Guy Orsoni réfute également mener une vie de voyou. Et trace, pour le tribunal, les contours d’un quotidien parisien morose, dans un 35m², à donner des cours de soutien en langues, pour un revenu dérisoire. « Dans ce box, vous avez vu passer tout le gratin du grand banditisme : Jean-Luc Germani, Jacques Mariani qui est une icône de la Jirs, le dossier de la tentative d’assassinat de mon père, celui de l’assassinat du père de mon ami… je suis pas mieux que ces gens, mais je suis pas pire qu’eux et si j’étais traité plus durement, ce serait une injustice », lâche celui qui encourt vingt ans de prison, tout comme Anto-Simonu Moretti.
Ce mercredi matin, le ministère public prendra ses réquisitions avant de laisser place aux plaidoiries de la défense. La décision du tribunal est attendue vendredi.