Par
Clément Mazella
Publié le
15 mai 2025 à 20h12
Yann Brethous est un rugbyman rare. Le 3e ligne, formé à Grenade-sur-l’Adour, n’a connu qu’un seul et unique club durant sa carrière professionnelle : Mont-de-Marsan (il a rejoint le club à 14 ans, NDLR). À l’aube de cette 30e et dernière journée de la saison 2024-2025, Actu Rugby a décidé de mettre à l’honneur dans un nouvel opus de « Mémoires de Pro D2 » ce formidable guerrier, qui va mettre ce week-end, à presque 36 ans (il les fêtera fin mai, NDLR), un terme à sa carrière. Un Yann Brethous savoureux en anecdotes et avec qui nous avons passé une très bonne heure à ses côtés dans les Landes.
Son premier match de Pro D2
« C’était à Béziers. J’avais 18 ans. J’avais un peu de pression, je l’admets. Le président de l’époque, Philippe Cazaubon, avait fait la surprise d’amener mon père au match. Lorsque l’on a mis les maillots, il était à côté de moi dans le vestiaire. C’était cool, fort en émotion : un vrai bon souvenir. On fait 21-21. J’étais remplaçant et j’entre en jeu à la mi-temps car Marc Giraud s’était fait le genou. Après ce match, les coachs étaient ravis, et ils ont décidé d’aller en boîte. J’ai eu la bonne idée de laisser mon téléphone portable dans le bus. Les anciens l’ont trouvé, ont appelé tout mon répertoire et je vous laisse deviner les bons souvenirs après ça… ».
Votre meilleur souvenir de Pro D2
« En premier, la finale contre Pau à Bordeaux en 2012. En plus, c’était le jour de mon anniversaire. Cette saison, avec les mecs en or que l’on avait et l’ambiance en interne, elle est mémorable. La veille, ou l’après-match, c’était dingue. Nous ne pensions pas que nous ferions une finale comme ça (gagnée 29-20, NDLR). Nous avions tellement d’insouciance que nous pensions que rien ne pouvait nous arriver.
J’ai envie aussi d’évoquer ma première demi-finale disputée à Albi (en 2011, NDLR). C’était sous la flotte, j’étais remplaçant, nous perdons en prolongation sur un terrain gorgé d’eau… C’était insupportable. Mais quand même grandiose d’accéder à ce niveau-là du championnat sous le maillot montois ».
Son pire souvenir
« Il y a cette finale perdue contre Agen (en 2015, NDLR), qui se joue à un coup de pied (16-15, avec une transformation ratée à la 79e). Mais surtout, celle perdue contre Bayonne (en 2022, NDLR) : je fais quasiment toute la saison (26 matchs joués, NDLR), je dispute la demie, et le staff a décidé de me mettre 24e homme pour la finale. J’étais au fond du seau, et cette décision, je l’ai très mal vécue. J’ai eu une explication, je ne l’ai pas forcément comprise, et je dois avouer que ce fut très dur pour moi de l’accepter. C’est mon pire souvenir de carrière à bien y réfléchir… ».
Yann Brethous, ici aux côtés de son pote Julien Tastet, lors d’un match contre Massy en 2015. (©Icon Sport)Le joueur le plus fort côtoyé sur un terrain de Pro D2
« Un, c’est trop dur ! Quand j’ai commencé ici à Mont-de-Marsan, j’ai été impressionné par George Harder. Un ailier anglais arrivé des Harlequins pété de partout. Mais techniquement, incroyable. Même en marchant, il faisait ce qu’il voulait. Après, il y a eu Trevor Leota. Lui, c’était un frigo américain. Je ne mens pas : des fois, on faisait des mêlées au joug, et sa tête ne rentrait pas. Un mec en or, mais d’une incroyable agressivité : même à l’entraînement, il faisait peur. Enfin, je vais citer Ephraïm Taukafa. Talonneur tongien, il arrivait de Lyon. Il était affûté terrible, très agressif mais aussi très fort techniquement. Il véhiculait quelque chose : tu savais que tu pouvais partir à la guerre avec lui.
En adversaire, j’ai toujours été impressionné par le Tarbais Isoa Domolaïlaï. Il faisait 2,06m, le mec était un monstre. OK, il était un peu plus sur la fin, mais en Pro D2, des mecs de ce gabarit-là, tu n’en croisais pas tous les jours. Je levais la tête pour le regarder ».
Le match disputé sous les pires conditions climatiques
« J’en ai plusieurs. Un à Oyonnax, avec encore la piste en terre autour du terrain. On sort pour l’échauffement, il faisait -5°, le terrain avait gelé, il y avait de la neige tout autour du terrain, les crampons avaient du mal à s’enfoncer dans le sol. Yohann Durquet a fini dans un énorme tas de neige en voulant sauver une touche : il a été frigorifié tout le match. Damien Cler, lui, avait joué avec un pull, un K-Way par-dessus, puis son maillot, pour vous dire…
Une fois, nous sommes allés à Auch, il y avait tellement plu qu’il n’y avait plus d’herbe sur le terrain. Un bain de boue géant, il n’était plus possible de voir les numéros sur les maillots. Nous avons gagné, mais avec une telle boue collée, nous avancions à 2km/h. Terrible ».
Meilleure anecdote d’un avant ou après-match
« Il y a une coutume de faire quelques bizutages sympas, que ce soit en début de saison ou avant une finale. Avant celle disputée contre Pau, à plusieurs, nous avons attrapé le préparateur physique, Raphaël Steyer. Nous l’avons tondu, tagué dans le dos, mis en string avec un magnifique body avec des coquillages. Nous l’avons mis dans le coffre d’une voiture, direction le marché de Mont-de-Marsan. C’était la veille de la finale, les gens venaient discuter avec nous, nous encourager, et Raphaël, nous l’avons mis sur un chariot à fleurs, et nous nous sommes barrés. Nous le récupérons au bout de 5-6 minutes, et nous l’amenons dans un bar-restaurant pour boire un café. Des journalistes nous ont vus. Raphaël a bien rigolé, mais pas sûr qu’il a tout apprécié (rires).
Sinon, lors de ma 300e avec Mont-de-Marsan, j’ai eu droit à une haie d’honneur, et en revenant aux vestiaires, plus d’affaires. Les mecs m’avaient prévu un costume de spartiate, tout en restant en slip et torse nu. Une sortie nocturne a été décidée, j’ai eu le temps de me changer car je me caillais comme il fallait, et nous sommes partis direction le bar tenu par un de mes cousins. Il a fermé le rideau à 2h. Nous, nous sommes restés. Quand il a relevé le rideau, il était 10h, il faisait grand jour, et avec Julien Tastet, nous sommes partis casser la croûte dans un autre bar jusqu’à 13h. Puis, nous sommes partis chez mon cousin pour le digestif, et nous avons fini dans un énième bar jusqu’à 20h. C’était long, génial, et il m’a fallu quelques jours pour récupérer quand même… Mais un grand souvenir ».
Le pire trajet en bus
« Aller à Nevers, cela a toujours été interminable. J’ai souvenir d’une époque où nous sommes allés à Lyon. À la réception, Romain Lauga et Florent Cazeaux avaient piqué des caisses de rosé pour les foutre dans le bus. Arrivé à Toulouse, il tombe en panne. Il était 6h. Tout le monde descend, un bus de Mont-de-Marsan est appelé pour venir nous récupérer. Bref, pour tuer le temps, certains se sont occupés de Jean-Baptiste Dubié : une hécatombe. Finalement, nous sommes arrivés à bon port à 14h. Et ceux qui avaient disputé moins de 20 minutes ont dû rejoindre les Espoirs pour jouer en suivant ».
Le plus beau stade ou la plus belle ambiance de Pro D2
« J’ai toujours aimé le stade de la Méditerranée à Béziers. Il est magnifique. Le jour où il sera plein à ras bord celui-là… Niveau ambiance, tu as bien sûr Jean-Dauger, une référence. Mais pas que. Une année, nous sommes allés à Mayol à Toulon. C’était quelque chose aussi ».
Yann Brethous, avec sa famille, honoré lors de son dernier derby disputé contre Dax. (©Icon Sport)Le joueur qui symbolise le mieux la Pro D2
« Impossible de n’en dire qu’un. Tu as les Chico Fernandez, Jérôme Bosviel, Anthony Coletta, Jean-Baptiste Barrère, mes potes Yoann Laousse-Azpiazu et Julien Tastet… Ils symbolisent la Pro D2 de par leur longévité. Autant de matchs, avoir très peu changé de club, cela donne le caractère de ces mecs de s’investir pour un maillot ».
Le coéquipier perdu de vue que vous aimeriez retrouver
« Je remercie les réseaux sociaux et WhatsApp : avec la génération battue par le Racing 92 et qui a gagné contre Pau, nous échangeons souvent et on se retrouve sur des dates anniversaires. Sinon, j’appréciais beaucoup Patrick Blanco : un pilier venu de Montauban qui ne faisait que des conneries. Un sacré bon vivant. Et puis, Lionel Dargier. Un 2e ligne qui a dû arrêter sa carrière à cause d’un problème au cœur. Tous les joueurs, nous l’avions aidé à retaper sa maison. Il est parti faire un tour du monde ensuite. J’aimerais bien savoir ce qu’il est devenu.
Le joueur de Pro D2 avec lequel vous avez créé la plus belle amitié ?
« Je suis de la génération 89, et nous avons été champions de France Crabos ensemble (Delmas, Briscadieu, Dubié, Cabannes…). Et sur les 15, une dizaine a joué en Pro en suivant. Nous nous sommes suivis pendant plus de 10 ans avec certains. Juju Tastet, on se connaît depuis que j’ai 15 ans. Après, tu as eu Laousse-Azpiazu ou Loustalot qui sont arrivés et ont de suite intégré notre moule. Cette amitié-là, elle est forte, et encore plus hors rugby. Nous faisons des bouffes ensemble, des déménagements, des moments de convivialité. C’est très, très fort entre nous ».
Plus de 310 matchs de Pro D2, ça représente quoi pour vous ?
« J’ai surtout eu la chance de ne quasiment jamais être blessé. Une fois à l’épaule à 18 ans, et une fracture de l’avant-bras en fin de carrière. Cela représente beaucoup d’heures de bus, d’heures de jeux de cartes à me faire engueuler parce que je suis nul… (rires) La fierté, c’est de n’avoir fait qu’un club, de l’avoir bien représenté et d’avoir su conserver la confiance de tous les staffs. Une fois, je sais que j’étais sur la sellette, mais on m’a gardé. Et ce que je retiens aussi, c’est l’amitié que j’ai réussi à instaurer avec certains. Ça, ça restera… ».
Et l’après ?
Recordman de matchs disputés sous le maillot de Mont-de-Marsan, Yann Brethous a décidé d’arrêter sa carrière professionnelle. Un temps, le 3e ligne avait envisagé de monter une crèche, mais a mis le projet de côté. Il s’est lancé dans la préparation physique voici 3 ans. « En juillet prochain, je vais m’occuper de la prépa physique et muscu des Espoirs et du centre de formation à Mont-de-Marsan », dit-il à Actu Rugby.
Yann Brethous va continuer à jouer, en Régionale 2, du côté de Grenade-sur-l’Adour, son premier club. « Tous mes cousins sont là-bas, ils m’ont tanné pour venir. J’ai aussi envie de retrouver un peu ce rugby amateur avec ces valeurs de clocher que tu perds chez les pros. J’ai envie de retrouver cette insouciance, et de boucler la boucle ».
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