La vidéo a été vue plus d’un million de fois sur le réseau social Tik Tok. Rue de Suède dans le sud de Rennes, on y voit un enfant qui hurle à plein poumons : « Ouais, ouais, ça passe ! » Du haut de ses dix ans maximum, celui qui se fait appeler « Mini-rapace » est un guetteur de « Cop », le point de deal du square de Copenhague dans le quartier de Bréquigny. En criant, il prévient les trafiquants du passage de la police. Mini-rapace s’adonne à ce qui semble être un jeu. L’enfant se cache même dans un carton quand une patrouille passe.

« Ce gamin est particulièrement jeune, livre un policier rennais. Lui, en particulier, on ne l’a pas vu souvent sur le point de deal. Mais c’est une tendance que l’on observe… Les dealers recrutent des adolescents de plus en plus jeunes pour assumer des petits rôles. On en voit de plus en plus. Ils savent que la justice ne pourra pas les condamner. Ce choix immoral fait partie d’une stratégie pour éviter la justice. » En France, la loi considère en effet qu’un mineur de moins de 13 ans qui commet une infraction n’est pas capable de mesurer la portée de son acte. Cette présomption de non-discernement protège les plus jeunes.

Amadouer les tireurs ?

Les dealers y voient une opportunité. À Rennes, le 9 avril dernier, lors d’une opération de ramassage classique sur un point de deal de Cleunay, les policiers ont interpellé douze guetteurs. Dix étaient mineurs. Le plus jeune avait douze ans. « Ce n’est quand même pas monnaie courante d’avoir de si jeunes « choufs ». Mais, on en trouve de plus en plus, ajoute un autre policier. Actuellement, sur le point de deal du Bourbonnais à Villejean, qui est au cœur d’une guerre d’appropriation avec des fusillades régulières, on a un gamin qui vient juste d’avoir 12 ans. On le connaît bien. On le contrôle quasi tous les jours… On a appelé ses parents… Mais il revient. On imagine que les responsables du point de deal s’en servent pour amadouer les tireurs à gage. Ils doivent se dire qu’ils n’oseront pas tirer sur un enfant. »

Selon les chiffres de la police rennaise, cités par une étude de l’Association pour la promotion de l’action et de l’animation sociale (Apras), les trois quarts des mis en cause ont 16 ou 17 ans. Pour autant, au-delà des données sur les mis en cause, l’âge des mineurs impliqués dans le trafic est assez large et correspond surtout à la période de l’adolescence de 13 à 17 ans. Mais parfois, des enfants, majoritairement des garçons, scolarisés en primaire, sont la cible de sollicitation de la part des trafiquants. Ceux-là habitent assurément dans les alentours.

Petits services

Habitant du square de Copenhague, Didier* observe la manière dont les dealers recrutent des jeunes. « Au départ, les trafiquants commencent par leur demander de petits services. Ils leur disent : « Tu veux bien aller me chercher une boisson à la boulangerie ou une pizza au corner, là-bas… Et tu gardes la monnaie ». Les enfants se disent : « Juste en allant chercher un truc, je me fais de l’argent, c’est intéressant. » Quelques jours plus tard, les dealers leur proposent de transporter un petit sac moyennant encore une rémunération alléchante, etc. Et voilà, le môme est ferré. » L’accès à l’argent impressionne les enfants et les adolescents qui rêvent souvent de chaussures de marques ou de téléphones dernier cri.

Si les très jeunes ados recrutés comme « choufs » vivent assurément dans le quartier, les plus âgés peuvent venir d’autres villes de France, voire d’autres régions du monde (Algérie, Maroc, Mayotte etc…) L’étude de l’Apras parue en octobre 2023 sur le trafic de stupéfiants sur la vie des familles démontre que les jeunes venus d’ailleurs sont en « rupture familiale ou déjà condamnés ». L’étude ajoute que, contrairement à certaines idées reçues, les parents de ces jeunes ne sont pas « démissionnaires ». « Ils sont souvent dépassés parce qu’ils travaillent, gèrent le reste de la fratrie, font face à la précarité ou sont démunies sur le plan éducatif. Les mères, qui élèvent souvent leurs enfants seules, se mobilisent pour sortir leur fils de l’emprise du trafic. » Elles peuvent déménager pour tenter de les couper de leurs relations.

« C’est le naufrage de toute la société »

Ces jeunes en échec scolaire retrouvent dans le deal les sociabilités qui leur manquent. Ils appartiennent à un groupe dont les codes identitaires s’inscrivent dans un champ plus vaste (vestimentaire, musical, réseaux sociaux). C’est d’autant plus vrai pour ceux que leur parcours migratoire a isolés. Les trafiquants deviennent une référence (même culture d’origine, de codes sociaux, de l’hébergement).

« Quand on trouve des mineurs impliqués dans le trafic, c’est le naufrage de toute la société, souffle un policier. L’école, les parents, les institutions, l’aide sociale à l’enfance… On se retourne vers la police et la justice mais c’est déjà trop tard. Le trafic de stupéfiants prend racine dans les failles du système. »