La première scène du nouveau roman de Philippe Claudel est tellement visuelle : Elon Musk portant son dernier né à bout de bras, annonce dans le bureau Ovale de la maison Blanche qu’il met un million de dollars sur la table, pour celui qui lui rapportera la tête de Poutine…
Avec Wanted, édité chez Stock, Philippe Claudel investit le champ du réel, dont l’énormité dépasse la fiction. Longtemps, le romancier lorrain et président de l’Académie Goncourt, a évoqué la réalité en gommant les contours, en effaçant les pistes temporelles, en réduisant l’obsolescence de ses textes : dans L’Archipel du Chien, l’île dont la plage était jonchée de cadavres de migrants, ressemblait à Lampedusa, mais jamais le nom n’était prononcé…
« Après le coup de bambou reçu derrière la nuque avec l’élection de Trump, je me suis demandé ce que pouvait faire, écrire un romancier, face à une situation qui dépasse la fiction » explique Philippe Claudel, qui en quatre nuits, a accouché d’une fiction qui invite les lecteurs à rire de la situation : « L’idée du chasseur de prime, du type qui tue pour de l’argent, pour des bonnes comme des mauvaises raisons, résume tellement l’Amérique, que j’en ai fait le cadre du roman. »
Des clowns plus vrais que nature
Pour Philippe Claudel, il vaut mieux rire de Trump, Poutine et Musk, pour « retrouver de l’énergie, aller au-delà de l’abattement. Ces clowns ont bouleversé l’ordre mondial, mais nous n’entendons pas un seul ancien président américain s’exprimer, bousculer leur folie, la contredire… Rien… A nous de résister. »
En 136 pages, où la folie devient une réalité plausible, ou le burlesque dépasse la réalité, Philippe Claudel embarque son lecteur vers les rivages sans limite du monde selon Poutine, Trump et Musk : « Quand Trump prétend annexer le Groenland, Panama et le Canada personne n’éclate de rire, tout le monde s’empare du sujet comme si cela devenait une donnée plausible. On dissèque le problème, on l’analyse, on en fait des papiers, des émissions… Sidérant tout de même ce crédit accordé à un bouffon. »
En prenant de vraies personnes, pour en faire des personnages de roman, Philippe Claudel raconte dans un pastiche très drôle mais au goût amer, comment le trio devenu quasiment maître du jeu mondial « est entré par effraction dans nos vies. Je les ai beaucoup écoutés faire sauter toutes les convenances, à la fois suprémacistes, virilistes, machos, qui n’envisagent le monde que sous l’angle du business, du fric, sans frein ou de la soif territoriale. Comment ce pays, les États-Unis, à peine deux cents ans d’histoire, a pu mettre en place un tel régime de la spoliation institutionnelle ? » La question est posée, les clés pour en rire sont livrées dans ce roman, dérangeant, décapant, et pour tout dire délicieusement dingue. Enfin, beaucoup moins que les maîtres du monde.
Wanted , 136 pages, chez Stock, 16,90 €