Publié le
23 mai 2025 à 6h22
Ce qu’il faut savoirMis à jour il y a 19h15
La Ville de Paris a engagé en 2017 la reconversion de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul en un écoquartier. Sur les 3,4 hectares de l’enclos historique, le projet prévoit un programme mixte de 600 logements (55% sociaux dont BRS), 20 % intermédiaires et 25% accession libre.
Occupé par les Grands Voisins entre 2015 et 2020, le site a l’ambition de continuer d’être un vecteur de lieu social, en abritant différents milieux spéciaux et en favorisant les « rencontres » ordinaires.
Co-construit par un panel de futurs habitants, le quartier se démarque avec des initiatives innovantes, comme la récupération des urines, qui seront valorisées en engrais.
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Fred Griot balance son regard, des perspectives de l’aménageur imprimées et posées sur des chevalets, aux échafaudages qui, tout autour de lui, s’élèvent sous le ciel azur de ce mois de mai 2025. Au cœur de ce qui fût un noviciat, transformé ensuite en hôpital infantile et maternité où près de 400 000 Parisiens seraient nés jusqu’en 2012, puis occupé entre 2015 et 2020 par le projet des Grands Voisins et ses centaines d’associations, il entrevoit ce qui deviendra bientôt « son quartier », celui qu’il a participé à imaginer avec d’autres futurs habitants, astucieusement baptisés les « futurs voisins » par la maire locale, Carine Petit (Les Ecologistes).
Dix ans après la première occupation temporaire par l’association Aurore, qui y a développé de l’hébergement d’urgence, l’ancienne enceinte hospitalière du 14e s’étendant sur 3,4 hectares, Saint-Vincent-de-Paul, est entrée dans la phase opérationnelle de sa mutation en un écoquartier, tout en ayant le souci de conserver des « témoins » de son riche passé. Une reconversion engagée dès 2017 par la Ville de Paris et dont les études et la conduite ont été confiées à sa société publique locale (SPL), Paris & Métropole Aménagement (P&Ma).
40 ménages mobilisés pour co-construire un nouveau quartier à Paris
Face à certains prototypes de façades des bâtiments de logements sociaux, Fred Griot s’est attardé. Il a remonté ses lunettes sur le haut de son crâne. « On voit les masses, les volumes », note-t-il à l’occasion d’une visite du chantier, dont les trois premiers programmes « Chaufferie », « Petit » et « Pinard », doivent être livrés fin 2026. « Les fenêtres sont presque trois fois plus grandes qu’ailleurs dans Paris », juge aussi le cinquantenaire, visiblement conquis.
Père de trois enfants, il fait partie depuis plus de cinq ans d’un panel d’une quarantaine de ménages, à qui l’on a promis un logement social ou un HLM sur le site en construction, et qui ont eu un rôle à jouer dans sa conception, comme dans sa future gestion. Christophe, un autre « futur voisin », rembobine : « On avait fait une demande de logement sociale avec mon épouse de l’époque et, un jour, on a vu sur le site une annonce qui évoquait la co-construction d’un nouveau quartier vert. »
Perspective du futur quartier Saint-Vincent-de-Paul. (©Sergio Grazia – Anyoji Beltrando)
Leur dossier est finalement retenu et, en 2019, ils signent avec les autres membres du panel une charte d’engagements réciproques avec la Ville, lors d’une cérémonie à la mairie. L’instituteur de 32 ans détaille : « On s’est engagé à participer aux réunions, aux ateliers et, en échange, on sait de manière informelle que l’on aura un logement. » Mixte, le futur quartier réunira au total 600 logements, dont 55 % sociaux, comprenant un centre d’hébergement d’urgence et une maison relais, entre autres.
« Créer une dynamique de village »
Lors d’ateliers ou réunions, Christophe se souvient avoir donné son avis sur l’intérieur des appartements, l’ameublement, les matériaux ou l’esthétique. « C’est un regard différent de celui des professionnels, parce qu’on ne connaît pas toutes les réglementations. Cela reste un avis consultatif. Mais je me souviens notamment d’un atelier avec des maquettes lors duquel on a réfléchi à où est-ce qu’on souhaitait mettre le mur, les chambres, etc. On nous a demandé nos besoins en tant qu’habitants », retrace-t-il. Et d’ajouter :
Parmi les nombreux sujets, il y a eu celui du télétravail, par exemple. C’est quelque chose qui se développe de plus en plus et on nous a demandé comment on voulait l’intégrer dans notre quotidien. Est-ce qu’on préférait un espace sur les paliers, une pièce chez nous, etc.
Christophe
Futur habitant du quartier Saint-Vincent de Paul
Ces dernières semaines, les discussions portaient sur les « communs », des espaces ou services partagés à l’échelle d’un immeuble, d’un îlot ou du quartier. Un enjeu majeur selon Fred Griot : « Il va y avoir des potagers partagés sur les toits, des ateliers de bricolage, de réparation de vélo, des salles polyvalentes… Je crois que c’est essentiel pour créer du lien avec les habitants du quartier. »
Perspective de la cour du futur équipement Pinard. (©Chartier Dalix)
En plus des 41 000 m2 consacrés au logement, un équipement public modulable et mutualisé (Pinard) accueillera une crèche, une école et un gymnase sur 5000 m2. 8000 m2 seront consacrés à des activités et commerces, principalement de l’économie sociale et solidaire (ESS), de l’artisanat et de la création. Un espace dédié à la culture et la création d’environ 3600 m2 complète le tableau.
« Je le rejoins, abonde Christophe. Cela peut créer une dynamique de village, où l’on se connaît et où l’on s’entraide ». En ce sens, le lieu espère ainsi conserver des ingrédients du succès des Grands Voisins. « Il s’est déroulé des choses extraordinaires ici pendant cinq ans, ce qui préfigurait de ce que sera le quartier demain », prophétise déjà Carine Petit, à l’occasion de la visite de chantier.
Des « zones de rencontre » entre différents milieux sociaux
Une cohésion qui pourrait ainsi être renforcée par une mixité sociale accrue et une gouvernance gérée en partie par les habitants. « Plutôt que de faire des ghettos de riches, ou des ghettos de pauvres, ici, les gens vont se mélanger et apprendre à se connaître, comme c’était le cas avec les Grands Voisins. Il y aura des propriétaires, avec les 23 premiers appartements en bail réel solidaire (BRS) de Paris (avant ceux de Python-Duvernois), et ils vivront à côté de HLM et d’hébergés d’urgence. C’est fantastique et, pour ces derniers, c’est une façon de recréer du lien », appuie Fred Griot. Avant d’évoquer le lieu dédié aux éboueurs et jardiniers de la Ville, prévu dans le socle du bâtiment Chaufferie.
Christophe pose devant le futur bâtiment Petit. (©AD / actu Paris)
Christophe enchaîne : « Je pense que la plus grande richesse du projet, c’est la gestion qui est mise en commun. On a réfléchi en collectif et on s’est demandé ensemble : qui nettoie, qui paye, qui répare. » C’est dans cette lignée que le maître d’œuvre urbain, l’agence Anyoji Beltrando, a planché sur une trame paysagère verte, organisée autour d’une croisée centrale et connectée à une unique boucle de circulation périphérique formant une « zone de rencontre ».
Un écrin moderne qui cohabite avec un bâti patrimonial préservé
L’ambition a également été de faire dialoguer au sein de l’enclos historique un bâti patrimonial préservé à 60 % et quatre îlots contemporains. « L’idée, c’était de faire sans effacer », résumait pour sa part le maire du 18e et président de P&Ma, Éric Lejoindre (PS), présent lors de la visite de chantier.
Symbole majeur de cette volonté, le bâtiment Adolphe Pinard, construit en 1934 et qui fût l’une des premières maternité modernes de Paris, va être réinvestie. Il accueillera une crèche, une école, un gymnase en structure bois et des locaux d’activités dans ses cours anglaises.
Une cour anglaise, qu’est-ce que c’est ?
Classique de l’architecture résidentielle britannique de l’époque georgienne et de l’architecture hospitalière, celles-ci sont reconnaissables au fait qu’elles se situent au niveau du sous-sol, coincées entre la façade de la construction et la rue.
Un projet pensé par le cabinet d’architecte Chartier-Dalix et qui se targue de s’appuyer sur les qualités du bâtiment des années 30 pour créer « des espaces généreux et traversants permettant une grande flexibilité d’usage ».
La future croisée centrale du quartier. (©P&MA Anyoji Beltrando)
Un avis qui tranche, forcément, avec celui de nombreuses personnalités du monde de la culture qui accusaient la Ville, dans une tribune publiée dans les colonnes du Figaro, en septembre 2021, de vouloir défigurer un quartier historique de la capitale. À la même période, des riverains du secteur avaient aussi dénoncé dans une pétition une « densification à outrance » et un « projet sans verdure », notamment. Des gens qui, du point de vue de futurs habitants – dont l’identité a été anonymisée – « ont peur de voir arriver des personnes moins riches et racisées dans leur quartier ».
Un « démonstrateur du Paris de demain »
Le programme assume, d’ailleurs, d’une certaine manière, sa « densité ». Adjointe à la maire de Paris chargée de l’urbanisme, Lamia El Aaraje, vantait notamment le fait que les espaces mutualisés de l’équipement public Pinard allaient s’ouvrir à des usages externes – notamment ceux d’associations, dans le cadre d’activités culturelles, sportives ou de formation, comme des cours du soir – en dehors de ses périodes de fonctionnement primaire. Une initiative qui pourrait voir le jour ailleurs dans la capitale au cours des années à venir.
Chritstophe observe son futur quartier se bâtir sous ses yeux. (©AD / actu Paris)
De façon globale, l’intention politique est de faire du quartier Saint-Vincent-de-Paul un démonstrateur d’idées qui pourraient faire le Paris de demain. Ainsi, la récupération des urines et leur valorisation en engrais 100 % naturel dans un local situé au sous-sol du bâtiment Chaufferie, puis son emploi par les services des parcs et jardins de la Ville, sera une première à l’échelle d’un quartier. L’intégralité des eaux pluviales courantes seront, elles, gérées sur le site.
Adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti, Jacques Baudrier, faisait, lui, remarquer le « niveau exceptionnel » de sobriété carbone visé par les bâtiments neufs comme Chaufferie (
« Il y a un bel élan, beaucoup de gens convaincus », conclut Fred Griot. Reste à voir si l’essai sera transformé après la livraison. Initialement prévue pour 2024, celle-ci a été retardée par « le Covid, les retards habituels des travaux et les recours », pense savoir Christophe. Désormais, les premiers habitants sont attendus pour début 2027. Et ils ont hâte.
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