Une grand-mère de 4 petits-enfants a été condamnée ce vendredi à une amende de 10.000 roubles, l’équivalent de 110 euros, pour « discrédit » de l’armée russe.Lors de l’anniversaire des 3 ans du conflit en Ukraine, Lioudmila Vassilieva avait brandi dans les rues de Saint-Pétersbourg une pancarte demandant d' »arrêter la guerre ».Quelques jours avant l’audience, elle plaidait la « non-indifférence » pour justifier son geste.
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Ukraine : 4ᵉ année de guerre
Vêtue d’un simple anorak rouge, feuille A4 entre les mains, elle avait affiché son message une heure durant, au beau milieu d’une rue glaciale de Saint-Pétersbourg. Lioudmila Vassilieva, une Russe de 84 ans, survivante du siège de Léningrad, a été condamnée vendredi 23 mai à une amende pour avoir brandi publiquement en février dernier une pancarte réclamant « la paix », en pleine offensive russe en Ukraine.
Le tribunal Kouïbychevski de Saint-Pétersbourg (Léningrad à l’époque soviétique) l’a reconnue coupable de « discrédit » de l’armée russe (nouvelle fenêtre) et l’a condamnée à une amende de 10.000 roubles, soit 110 euros, a annoncé cette juridiction dans un communiqué. En vertu de la loi russe, Lioudmila Vassilieva risquait jusqu’à 50.000 roubles d’amende.
Блокадница Людмила Васильева получила 10 тысяч рублей штрафа за плакат «Люди! Остановим войну!». Поддержать ее в суд в Петербурге пришли десятки неравнодушных, они читали стихи и вместе с ней скандировали «Спасибо!». «Нам всем еще надо постараться дожить до прекрасной России… pic.twitter.com/gnAyO3jb0z — Медиазона (@mediazzzona) May 23, 2025
Selon le média indépendant russe Mediazona (nouvelle fenêtre), des dizaines de personnes sont venues la soutenir au tribunal, lisant des poèmes. Pas été autorisés à entrer dans la salle, beaucoup d’entre eux sont malgré tout rentrés dans le bâtiment et l’ont attendue dans les escaliers. « Nous devons tous nous efforcer de vivre jusqu’à voir la belle Russie de demain », a lancé Lioudmila Vassilieva après l’audience, demandant aux journalistes et militants présents de ne pas avoir peur ni de se décourager.
Блокадницу Людмилу Васильеву, которой Куйбышевский районный суд Петербурга только что назначил штраф в 10 тысяч рублей за «дискредитацию» армии, встречают овациями Видео: Александра Астахова / Медиазона pic.twitter.com/rILfrtzxB2 — Медиазона (@mediazzzona) May 23, 2025
Sur une vidéo tournée par le média, on voit des dizaines de ces soutiens rassemblés sur plusieurs étages dans la cage d’escalier pour l’applaudir, scandant « merci » avec la retraitée elle-même, qui lève un bouquet de fleurs dans sa main.
« J’ai extrêmement mal pour mon pays », avait confié l’octogénaire
Selon les médias russes indépendants, Lioudmila Vassilieva avait brandi dans le centre de Saint-Pétersbourg une pancarte le 24 février dernier, à l’occasion des trois ans du déclenchement de la guerre en Ukraine. Dessus, il était écrit à la main « À tous. Arrêtons la guerre ! Nous sommes responsables de la paix sur Terre ! ». Le tout signé : « Avec amour, Lioudmila, enfant de Léningrad assiégée », dans une référence au terrible siège mené par l’armée nazie (nouvelle fenêtre), qui a duré du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944. Entre 600.000 et 1,5 million de personnes avaient péri, de faim pour la plupart.
L’octogénaire était restée environ une heure debout, en brandissant simplement sa pancarte, selon des médias russes indépendants. Sur ces images du journal Novaïa Gazeta, on la voit notamment lancer « ils ont trahi notre pays ! », s’adressant à des officiers de police russes. Elle n’avait toutefois pas été arrêtée, d’après plusieurs médias.
‘They betrayed our country’ — 82-year-old survivor of Leningrad siege holds one-woman picket on 24 February On the third anniversary of the start of Russia’s full-scale invasion of Ukraine, Lyudmila Vasilyeva, an 82-year-old survivor of the Nazi siege of Leningrad during World… pic.twitter.com/XNvXX4ueqy — Novaya Gazeta Europe (@novayagazeta_en) February 25, 2025
En recevant l’AFP à quelques jours de l’audience, cette grand-mère de quatre petits-enfants avait plaidé la « non-indifférence » pour expliquer son geste. « J’ai toujours été quelqu’un qui n’est pas indifférente. J’ai toujours été du côté des faibles, tout comme ma maman », avait-elle expliqué. Et l’appel à la « paix » lancé en plein centre de Saint-Pétersbourg n’était pas adressé aux autorités russes mais à « tous les gens », car ce sont eux « qui peuvent avoir de l’influence et arrêter » le conflit, avait-elle expliqué, confiant avoir « extrêmement mal pour (son) pays ».
Après la Deuxième Guerre mondiale, « on parlait tout le temps de la paix. Rappelez-vous du passé pour que cela (la guerre, ndlr) ne se reproduise jamais », avait-elle ajouté. « Mais aujourd’hui, de quoi parle-t-on ? », s’était-elle interrogée, émue, faisant allusion au discours aux accents belliqueux du pouvoir et des médias russes (nouvelle fenêtre).
Ingénieure à l’époque de l’URSS, Lioudmila Vassilieva a ensuite été membre du parti libéral « Choix démocratique » dans les années 1990. Elle avait déclaré baigner dans les idéaux démocratiques depuis toujours et avoir « participé à tous les rassemblements d’opposition (nouvelle fenêtre) » depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000. « Laissez les gens vivre et choisir par eux-mêmes ce qu’ils veulent ! », avait-elle lancé. « Quant à moi, j’ai déjà 84 ans. Je n’ai pas peur », avait aussi glissé la grand-mère.
Le procès de cette octogénaire s’inscrit dans un contexte de répression des voix dissidentes (nouvelle fenêtre) en Russie, dont l’offensive en Ukraine a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés. Les arrestations pour « espionnage », « trahison », « sabotage », « extrémisme » ou pour des critiques visant l’armée se sont multipliées au cours des trois dernières années.
La justice russe a notamment condamné en novembre dernier à cinq ans et demi de prison ferme une pédiatre âgée de 65 ans de Moscou. Elle était accusée par la mère d’un de ses patients d’avoir critiqué l’assaut russe en Ukraine au cours d’une consultation. Récemment, en avril, une militante anti-guerre de 19 ans avait été condamnée à près de trois ans de prison.
M.L. avec AFP