«Sebastião Salgado, c’était un très grand ami. Nous sommes tous très très émus. Nous avons partagé trente ans de vie commune. Quand j’ai quitté Paris Match, c’est le premier photographe qui m’a téléphoné, je ne l’oublierai pas et il m’a dit : “Alors qu’est-ce qu’on fait ensemble ?” Eh bien on a fait Polka ! Voilà pour l’ami cher. Ensuite, c’était un immense photographe. La première fois que je l’ai vu à Match, il est arrivé avec sa femme, il était dans une dépression lourde. Il avait connu le pire au Rwanda. Il avait failli y mourir, il y est resté plusieurs semaines, il ne pouvait plus s’arrêter de photographier les morts. Ses images le rendaient malade.
«Il voulait photographier la beauté du monde. Il disait : “On montre la blessure de la terre mais moi je veux montrer la beauté du monde pour dire que c’est ça qu’il faut sauver.” Moi sceptique, je lui ai rétorqué : “Tu ne vas pas devenir paysagiste tout de même ?” Lui voulait photographier l’Amazonie, les animaux et les êtres humains isolés, heureux près de leur terre, loin du tumulte. J’ai eu un réflexe de journaliste car j’ai pensé que ce projet allait être ennuyeux. Car pour moi, Salgado, c’était la Main de l’homme, la brutalité du travail manuel ou Exodus, les déchirantes migrations humaines. Il savait montrer comme personne la destruction et la misère, alors la beauté du monde ? Il voulait aller aux Galápagos et moi je me suis moqué : “Tu ne vas pas aller photographier des tortues ?”
«Son projet était ambitieux, il prévoyait huit ans de travail. Finalement, Sebastião Salgado a conçu les plus grandes expositions de photographie de tous les temps, il a battu les records de l’exposition mythique The Family of Man, l’expo photo la plus vue dans le monde.
«C’est un homme fiable et engagé pour les causes humaines et environnementales. Il n’a pas compris qu’on le critique, qu’on lui reproche d’esthétiser la misère. C’est un perfectionniste dans ses tirages noir et blanc, avec des noirs si profonds. Il n’a jamais triché. Est-ce qu’on reprocherait à Victor Hugo de bien écrire ? “Comment peut-on me reprocher d’avoir de belles lumières ?” disait-il. Au Sulawesi, je l’ai vu photographier, il est dans une conversation frontale avec la lumière, c’est magnifique. Bien sûr, il a une esthétique, c’est cela qu’on demande à un artiste. Mais esthétisation ? Cela voulait dire qu’on le soupçonnait de manipulation : il en a souffert et puis c’est passé, il a eu une telle reconnaissance ensuite…
«C’était aussi un conteur fantastique qui savait capter son auditoire. J’ai essayé de le suivre une fois en Amazonie mais c’était tellement difficile de se préparer physiquement. Sebastião Salgado a démontré que le reportage au long cours avait une signification ; il est un repère par sa persévérance et par la force de son travail.»