Un coureur du Paris Cycliste Olympique, une fois la ligne d’arrivée franchie, sur la Ronde de l’Isard vendredi : “J’y vois tout flou…”. Il a accompli 80 kilomètres d’un contre-la-montre par équipes authentique et sauvage, sur la troisième étape entre Aspet et Salies-du-Salat (Haute-Garonne). Derrière le peloton, puis à l’intérieur, puis à l’avant. Dans l’ombre et ensuite dans la lumière. Cet exploit, collectif, consistait pour l’équipe à attendre le sprinteur Manu Guérinel, lâché dans le Col du Menté, à le replacer dans le peloton du maillot jaune Jarno Widar (Lotto Development), et enfin à le lancer dans l’emballage massif.

Manu Guérinel termine deuxième derrière l’Italien Ludovico Mellano (voir classement). “Mais c’est comme si j’avais gagné, exulte-t-il. Cette journée de vélo, je m’en souviendrai toute ma vie !”.

LA VEILLE DE LA GAINSBARRE…

Le plus étonnant, c’est que ce scénario a été écrit il y a plus de deux mois et qu’il s’est appliqué presque à la virgule-près. Tanguy Turgis, le directeur sportif, explique qu’il a “imaginé ce plan la veille de La Gainsbarre (donc, le 11 avril, NDLR), quand on a vu les parcours de la Ronde de l’Isard publiés sur DirectVelo. Là, j’ai dit :  »Manu, tu gagnes ! ». Dans ma tête, tout était clair. Manu allait perdre du temps dans le Col de Menté, mais le sommet est situé à 80 kilomètres de l’arrivée. Donc, on pouvait s’organiser…”.

Tanguy Turgis connaît la Ronde de l’Isard pour l’avoir disputée aux côtés de Pavel Sivakov, le vainqueur de l’édition 2017. Il rêvait de voir un de ses coureurs s’illustrer à nouveau. “Ça faisait deux mois que je leur avais mis le plan dans la tête, dit-il. Je les avais prévenus qu’ils reviendraient sur le peloton tôt ou tard. Peut-être qu’ils rentreraient à 5 kilomètres de l’arrivée, mais ils reviendraient. J’y croyais, et ils se sont tous mis à fond derrière cette idée !”.

Pour augmenter leurs chances de réussite, les coureurs du Paris Cycliste Olympique ont été priés de rouler en-dedans sur les deux premières étapes de la Ronde de l’Isard. Chaque coup de pédale économisé rapproche un peu plus de la victoire. Vendredi, sur la troisième étape, le PCO continuait de préserver ses forces, en laissant ses coureurs dans le peloton.

« UN SACRÉ CONTRE-LA-MONTRE PAR ÉQUIPES ! »

Comme prévu, Manu Guérinel a perdu le contact sur le peloton et, comme attendu, ses équipiers l’ont entouré de leur présence. “Même ceux qui pouvaient faire un bon classement général se sont relevés à l’avant de la course pour m’attendre, raconte le sprinteur. Ils étaient monstrueux. Je ne pouvais pas craquer. Quand j’ai vu tout ça, j’étais à moitié en pleurs…”.

“Je voulais qu’une bulle se forme entre nous. Sans avoir trop de coureurs des autres équipes autour de nous sinon, ils se seraient accrochés”, poursuit Tanguy Turgis. De fait, au sommet du Menté, la « bulle » du Paris Cycliste Olympique concède trois minutes au peloton maillot jaune. En bas de la descente, le retard s’est résorbé à 2 minutes 45. Il reste une soixantaine de kilomètres pour rentrer. Un duel à distance entre le PCO et la Lotto Development.

“Une fois qu’on s’est mis à rouler, pas le choix, il fallait aller au bout ! relate Félix Rouinsard, accompagné d’Elyes Plénel-Jobard, Grégory Pouvreault et Maël Zahem dans cette chasse à en perdre haleine. On a été obligé de gérer le vent de face. C’était un sacré contre-la-montre par équipes !”.

“J’étais tendu jusqu’à la fin, reprend le directeur sportif. Les autres équipes ne voulaient pas tourner dans le groupe, sauf un coureur de XDS Astana, qui a participé à quelques relais. Je suis allé voir nos adversaires, je leur ai passé des bidons mais j’ai aussi dit sèchement à quelques-uns  »Franchement, vous êtes en train de laisser passer une chance de gagner une étape sur une épreuve UCI… » ».

« QUAND ON CROIT EN SOI… »

À 30 kilomètres de l’arrivée, dans la dernière ascension, le PCO tient enfin le peloton en vue. “On a géré la montée, surtout pas trop vite, pour ne pas exploser !”, se souvient Manu Guérinel. “Là, j’ai vu six coureurs de la même équipe, qu’on n’avait pas vus jusque-là, attaquer tous en même temps et faire la jonction, complète Tanguy Turgis. Nous on n’avait pas suivi cette attaque. Pour la première fois de la journée, j’ai commencé à douter”.

Mathis Guérinel, le frère de Manu, participe aux relais. Les yeux rougis de joie et de fatigue. “On a couru comme si rien ne pouvait nous arriver, ou presque, confie-t-il. À quinze kilomètres de l’arrivée, on était quasiment tous en pleurs d’avoir accompli cette journée !”. Car les Parisiens sont revenus dans le peloton et, avec eux, leur sprinteur qui sent grossir l’odeur du sprint.

À peu de choses près, Manu Guérinel manque de s’imposer. “J’ai mis un coup de frein dans le dernier virage, j’ai perdu quelques places au rond-point, mais c’est le jeu. Je ne peux pas avoir de regret…”.

Toute l’équipe sort exsangue. Staff compris. Directeur sportif également, qui termine “poncé” selon ses mots. “Même si on avait terminé cinq minutes derrière le peloton, j’aurais été content, glisse Tanguy Turgis. Ce que l’équipe a fait va lui apporter énormément de confiance. Aujourd’hui, j’ai vu une très grande équipe. On respecte l’organisateur qui nous a invités, on développe notre sentiment de légitimité”. Manu Guérinel veut y voir un symbole : “Voilà ce que ça fait quand on croit en soi”.