Berlin et Vienne ont élevé l’existence d’Israël au rang de raison d’État, estimant que leur « dette » envers ce pays, créé après l’extermination des juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, impose un « soutien significatif », selon la chercheuse Joanna Dyduch.
Pour cette responsable de l’Institut du Proche et du Moyen-Orient à l’université Jagiellonian de Cracovie (Pologne), Allemands et Autrichiens rejoignent la position de leurs voisins de l’Est sortis il y a plus de trois décennies de la coupe de Moscou.
Signe éclatant de cette solidarité : l’Autriche comme l’Allemagne ont défendu, mercredi, l’accord d’association entre l’Union européenne et Tel Aviv, alors que la majorité des États membres se sont prononcés en faveur d’un réexamen de ce texte en vigueur depuis 2000.
Proximité culturelle puis illibéralisme
De la République tchèque à la Bulgarie, ces États partagent une « même vision du droit à la sécurité » qu’Israël, menacé dans son existence, et « il y a cette peur identique d’être abandonné ou trahi ».
Pour rejoindre l’UE et l’Otan à partir de 2004, ces jeunes démocraties, en général, ont dû passer d’une position plutôt pro-arabe, alignée sur celle de l’URSS, à une vision calquée sur celle de Washington.
Une réorientation d’autant plus naturelle qu’elles ressentaient une proximité culturelle avec une terre où se sont installées des populations ayant contribué à leur culture, partageant leurs langues, leurs nationalités souvent.
Si cet élément peut avoir tendance à s’estomper avec le temps, un autre est venu cimenter plusieurs relations bilatérales : celui de l’illibéralisme.
Le Hongrois Viktor Orban, l’Autrichien Sebastian Kurz, le Slovaque Robert Fico, le Tchèque Milos Zeman… Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, appartient à leur courant politique, bien représenté dans cette partie de l’Europe depuis une quinzaine d’années.
« Nouer des relations solides » avec ces personnalités lui permet « d’exploiter les divisions » au sein de l’Europe, analyse Azriel Bermant, de l’Institut des relations internationales de Prague.
La Hongrie d’Orban au premier chef
Une stratégie particulièrement payante quand un dirigeant comme Viktor Orban a la capacité de pouvoir bloquer des décisions, au grand dam de la Commission européenne.
Autre combat commun permettant de dépasser les tensions autour de l’antisémitisme, « le discours selon lequel Israël est en première ligne de la guerre contre l’islam », rappelle aussi l’expert.
Les affaires et la politique ne font alors plus qu’un, même si la coopération stratégique reste modeste. L’année dernière, la Slovaquie a acheté le système israélien de défense antiaérienne Barak MX pour 560 millions d’euros, une première dans l’Otan.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a relancé la course aux armements et, en 2023, l’Allemagne avait déjà scellé avec Israël un accord sur l’achat du bouclier antimissile Arrow-3, pour une somme évaluée à 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros).
« Européanisation » polonaise
Exception toutefois, la Pologne, dont la voix porte de plus en plus à Bruxelles, a « européanisé » sa politique étrangère, note Joanna Dyduch. « Sa position a changé par rapport aux autres États d’Europe centrale et orientale », même après l’attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre 2023, qui a entraîné la mort de 1 218 personnes.
La Pologne, où les nationalistes ne sont désormais plus au gouvernement, « s’est progressivement distanciée » de la campagne de représailles ayant fait au moins 53 655 morts, selon les données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par les Nations unies.
« La réticence d’Israël à condamner le Kremlin » sur l’Ukraine s’est transformée en « grief polonais à son encontre » et a « sans doute influencé la manière dont le public a perçu la guerre à Gaza », conclut-elle.
Alors qu’elle penchait auparavant en faveur d’Israël, la Pologne a soutenu sans équivoque l’admission de l’État de Palestine, au moment du vote de l’Assemblée générale de l’Onu, en mai 2024.
Et ce tandis que la Hongrie comme la République tchèque ont voté contre, l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie et la Roumanie s’abstenant.