Le parking du Carrefour occupé aux deux tiers, du monde dans les travées de Leroy Merlin et de Boulanger, les grandes chaînes de fast-food qui servent des menus à tour de bras… Dans la zone de l’Escale, à Langueux, où se bousculent près de 260 commerces pour 120 000 m² de superficie, la consommation ne s’arrête jamais, y compris un lundi en début d’après-midi.

Une preuve de plus que le site, symbole costarmoricain de cette « France moche » à la fois appréciée et méprisée, est encore loin d’appartenir au passé.

Une perte de vitesse des zones commerciales

On connaît l’histoire par cœur : dans les années 1970, les zones commerciales ont fleuri partout en France, faisant peu à peu basculer le commerce de détail des centres-villes vers la périphérie. Accessibilité en voiture individuelle, diversité de l’offre et prix attractifs ont fait le succès des 1 500 zones que compte le pays, parmi lesquelles on trouve évidemment le premier pôle commercial de Bretagne.

Seulement, ces atouts seraient de plus en plus nuancés. Avec la multiplication des bouchons à l’entrée de ces zones et le développement continu du commerce en ligne, leur chiffre d’affaires a baissé et le taux de vacance dans ces zones aurait doublé entre 2007 et 2020, passant de moins de 4 % à plus de 8 % en 2020, et baissant légèrement depuis pour atteindre aujourd’hui 7,24 %.

Un modèle mis à mal pour le commerce numérique ?

Alors, l’attractivité de l’Escale aurait-elle du plomb dans l’aile ? Les fermetures d’Happy Cash récemment, puis dans les prochains mois de Jennyfer et Casa, jettent un doute. Sans compter la fermeture remarquée du restaurant César dans la galerie de Carrefour, qui dénonçait un loyer trop élevé, avec 18 000 € à débourser chaque mois.

« Il y a certains endroits où il y a des fragilités liées au contexte national, confirme Richard Haas, maire de Langueux. Il faut être vigilant pour préserver l’attractivité et ne pas voir le commerce en ligne prendre le dessus. »

Une étude de l’agence d’urbanisme ADEUPa, missionnée par la Ville de Saint-Brieuc et l’Agglo pour réfléchir à ce que sera la ville en 2040, allait également dans ce sens : « Ironiquement, le modèle de la franchise et du centre commercial, qui avait concurrencé le commerce indépendant de centre-ville en son temps, se voit à son tour mis en difficulté par le canal numérique. »

Un modèle encore dynamique, mais dépassé pour le gouvernement

Pour autant, le taux de vacance commerciale en 2024 se situait encore autour de 4 %. Avec les fermetures à venir, il se situera à 5 % tout au plus. Un chiffre supérieur à la moyenne nationale, qui se situe à 7,24 %. Mieux également qu’à Plérin, où la zone du Plateau affiche un taux de 6 % et celle du Carpont, à Ploufragan, d’environ 15 %.

L’implantation d’un Lidl et d’un Grand Frais ces derniers mois illustrent ce dynamisme. Les deux n’ont d’ailleurs pas hésité à ruser avec les règles urbanistiques pour s’installer.

Malgré l’attachement des consommateurs, l’Escale fait partie des 74 zones ciblées par le gouvernement dans le cadre du plan de transformation des zones commerciales d’entrée de ville, qualifiées par la ministre déléguée chargée des entreprises de « disgracieuses, très énergivores et peu soucieuses de l’environnement ».

« Le discours et les croyances d’une minorité urbaine tentent de discréditer ce mode de consommation, mais les gens y tiennent », analysait au contraire dans un grand reportage du journal Le Monde Fabrice Raffin, maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne et chercheur au laboratoire Habiter le monde. Qui estimait également que « la vraie problématique derrière le succès des zones commerciales est le pouvoir d’achat des consommateurs » et que la seule impulsion politique, sans un besoin réel des usagers, « ne suffira pas à les pousser à changer leurs modes de vie ».