« Allons nous sonner le glas du Petit Bar ? », interrogeait Isabelle Candau, procureure de la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille, en préambule de son réquisitoire, le 28 avril.

Un mois plus tard, le tribunal correctionnel de Marseille, au terme de neuf semaines de débats, étalées sur trois mois, a rendu sa vérité judiciaire, ce mercredi 28 mai 2025 pendant 1 h 15. Des peines allant d’un an de prison avec sursis à 13 ans de prison ferme ont été prononcées contre 22 des 24 personnes soupçonnées d’avoir participé, de près ou de loin, à un blanchiment massif des finances attribuées par la justice à la bande criminelle du Petit Bar. Deux d’entre elles ont été intégralement relaxées. Environ 10 millions d’euros d’amende ont été infligés à l’ensemble des condamnés.

Dix minutes avant que l’audience ne démarre, dix policiers, les escortes, pénètrent dans la salle. Cependant, les prévenus n’étaient pas nombreux à avoir regagné leur place dans la salle d’audience pour entendre le délibéré prononcé par Patricia Krummenacker. Une situation qui a conduit le tribunal à prononcer plusieurs mandats d’arrêt à l’encontre de certains prévenus condamnés à des peines de prison ferme. 

La présidente a pris le temps d’expliquer aux sept prévenus présents ainsi qu’aux nombreux avocats, les éléments retenus pour asseoir la culpabilité des prévenus. En tête des infractions : la présomption de blanchiment. 

Pour faire simple, la présomption de blanchiment permet aux autorités judiciaires françaises de considérer qu’une somme d’argent détenue ou utilisée de manière occulte est d’origine illicite. Il s’agit d’une inversion de la charge de la preuve : c’est à la personne qui prend des mesures de camouflage de démontrer que l’argent a été obtenu de manière légitime.

Plusieurs mandats de dépôt à la barre

Les principaux membres de « ce clan », selon les termes du parquet, ont été condamnés aux peines les plus sévères. Les deux grands absents de ce procès, Jacques Santoni (pour raisons médicales) et Mickaël Ettori (en fuite depuis septembre 2020), ont écopé de 13 et de 12 ans de prison et un mandat d’arrêt a été décerné pour les deux hommes.

À l’encontre de Pascal Porri, qui comparaissait détenu dans cette affaire, le tribunal a prononcé une peine de 10 ans de prison ferme. Il a par ailleurs été relaxé pour les faits d’extorsion à l’encontre de Jean-Marc Peretti.

André Bacchiolelli, prévenu libre qui a assisté à chaque journée d’audience, se voit infliger une peine de 5 ans de prison, un mandat de dépôt à effet différé a été prononcé à la barre alors que la présidente, face à sa venue au délibéré, a salué son « courage ». « Parce que je suis innocent », a répondu André Bacchiolelli.

« Être ami avec Mickaël Ettori n’est pas un délit »

Le ministère public, représentant l’accusation, avait par ailleurs sollicité de lourdes peines à l’encontre de certaines de leurs compagnes au moment de l’enquête, notamment 9 ans et 6 ans de prison, avec mandat de dépôt à la barre, contre Sonia Susini, ex-femme de Jacques Santoni, et Saveria Lucchini, compagne de Mickaël Ettori. Le tribunal a revu à la baisse le quantum des peines en prononçant 3 ans de prison ferme contre la première et 30 mois ferme à l’encontre de la seconde, ces deux peines étant néanmoins assorties d’un mandat d’arrêt.

Un autre acteur clé de ce dossier, toujours selon l’accusation, était sous la menace d’une peine de prison ferme à hauteur de 9 années : Antony Perrino, un promoteur bien connu dans l’île. « Antony Perrino n’est pas un obligé, il agit dans l’intérêt du Petit Bar. Certaines de ses sociétés sont mises à sa disposition. Il y a une confusion de patrimoine », avait fustigé Isabelle Candau dans son réquisitoire.

Cette mise en commun de ses biens ou de son carnet d’adresses a toujours été farouchement contestée par l’homme d’affaires. Lors de sa plaidoirie, qui a clôturé le tour de piste de la défense avant que le tribunal ne se retire pour délibérer, Me Julien Pinelli a d’ailleurs plaidé qu’être « ami avec Mickaël Ettori n’est pas un délit ». Le tribunal, qui s’est forgé sa vérité judiciaire sur la base du dossier, a visiblement partiellement entendu ces arguments. Une peine de 30 mois de prison ferme, à effectuer sous forme de bracelet électronique, a finalement été prononcée à l’encontre d’Antony Perrino, ainsi qu’une interdiction de gérer durant 3 ans et une peine d’amende de 750 000 euros.

Ruissellement des espèces, Courchevel, Aubervilliers…

Ce dernier est notamment présenté comme un intermédiaire dans l’affaire emblématique de ce procès, celle dite de « Courchevel », pour laquelle un riche homme d’affaires, Jean-Pierre Valentini, était soupçonné d’avoir investi dans des biens immobiliers, aux côtés de François-Xavier Susini, pour le compte du Petit Bar dans la célèbre station de ski de Savoie. Mais selon le tribunal, la procédure n’a pas permis d’établir ces éléments.

Aussi, François-Xavier Susini, porteur du projet selon l’accusation, a été totalement relaxé à ce procès.

Jean-Pierre Valentini, également relaxé sur cet aspect, a en revanche été condamné à 4 ans de prison avec sursis et une amende de 750 000 euros pour le règlement de fausses factures émises par les Chinois d’Aubervilliers.

L’accusation a aussi longuement pointé la circulation, ou plutôt « le ruissellement » des espèces mis au jour durant le temps de l’enquête grâce aux sonorisations des appartements parisiens de Mickaël Ettori et de Jacques Santoni. « On ne parle pas de dizaines ou de centaines d’euros, mais plutôt de dizaines ou de centaines de milliers d’euros lors d’une opération de comptage qui aura duré 45 minutes », avait mis en évidence la procureure Candau. Un aspect largement retenu par le tribunal.

« Un discours de politique pénale, une com à destination de la population »

Au terme de son réquisitoire, le ministère public avait surtout fait le portrait de « cette association de malfaiteurs » qui « cherche à infiltrer toutes les strates, toutes les institutions, de manière insidieuse, par la violence, la menace, la contrainte ».

La procureure avait terminé sur une note plus sombre encore, après trois jours de réquisitoire : « Aucune démocratie n’est condamnée à cohabiter avec la mafia qui la gangrène. Pour la combattre, il faut prendre conscience de sa visibilité, de son existence. Rendre visible ce qui est invisible. Il nous appartient de nommer le mal. Le Petit Bar a mis une chape de plomb sur la Corse-du-Sud, même si ce n’est pas la seule bande. »

Une estocade, au diapason du réquisitoire, qui avait provoqué l’ire de la défense, jugeant cette prise de parole davantage comme « un discours de politique pénale, une communication à destination de la population » plutôt qu’un véritable réquisitoire « sur la base du droit ».

Si le tribunal a revu à la baisse de nombreuses peines et prononcé, pour quasiment tous les prévenus, des relaxes partielles, la sévérité est restée de mise pour les trois principaux membres du Petit Bar, les quantums infligés étant à peine en deçà de ce qui avait été requis les 28, 29 et 30 avril dernier.

Les peines prononcées :

Jacques Santoni :

13 ans de prison ferme, mandat d’arrêt, 1 500 000 euros d’amende.

Requis : 14 ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt. 2 millions d’euros d’amende.

Mickaël Ettori :

12 ans de prison ferme, mandat d’arrêt, 1 500 000 euros d’amende.

Requis : 14 ans de prison assortis d’un mandat d’arrêt. 2 millions d’euros d’amende.

Il est en fuite depuis septembre 2020.

Pascal Porri :

10 ans de prison ferme, maintien en détention. 1 million d’euros d’amende. 

Requis : 12 ans de prison avec maintien en détention. 2 millions d’euros d’amende.

André Bacchiolelli :

5 ans de prison, mandat de dépôt à effet différé (présent à la barre). 300 000 euros d’amende.

Requis : 7 ans d’emprisonnement assortis d’un mandat de dépôt. 500 000 euros d’amende.

Antony Perrino :

5 ans dont 30 mois avec sursis, interdiction de gérer une entreprise durant 3 ans, 750 000 euros. 

Requis : 9 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Amende de 250 000 euros.

Jean-Pierre Valentini :

4 ans de prison avec sursis pour le règlement de fausses factures. 750 000 euros d’amende. Relaxé pour le volet Courchevel.

Requis : 5 ans de prison dont 2 ans avec sursis simple. Amende de 2 millions d’euros.

François-Xavier Susini :

Relaxé

Requis : 5 ans de prison dont 2 ans avec sursis probatoire. Amende de 2 millions d’euros.

Jean-Marc Peretti :

5 ans de prison, mandat d’arrêt, 1 million d’euros d’amende.

Requis : 8 ans avec mandat d’arrêt. Amende d’1 million d’euros.

Stéphane Francisci :

6 ans de prison, mandat d’arrêt, 750 000 euros d’amende.

Requis : 8 ans de prison avec mandat de dépôt. Amende d’1 million d’euros.

Alain Mourot :

4 ans de prison dont 2 ans avec sursis, 125 000 euros.

Requis : 4 ans de prison assortis de 2 ans d’un sursis probatoire. Amende de 500 000 euros.

Arnaud Fahl :

4 ans dont deux ans de sursis. 200 000 euros d’amende.

Requis : 5 ans de prison dont 2 avec sursis probatoire. Amende d’un million d’euros.

Olivier Muller :

6 ans de prison, mandat d’arrêt, 750 000 euros d’amende.

Requis : 6 ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt. Amende de 500 000 euros.

Franck Fellous :

5 ans, maintien en détention. 100 000 euros d’amende.

Requis : 6 ans d’emprisonnement. 500 000 euros d’amende.

Wei Chen :

3 ans de prison avec mandat de dépôt à la barre, 100 000 euros d’amende.

Requis : 3 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Amende de 200 000 euros.

Jingwu Huang :

2 ans de prison avec sursis, 50 000 euros.

Requis : 3 ans de prison dont 2 assortis d’un sursis probatoire. Amende de 200 000 euros.

Sonia Susini :

5 ans dont 2 ans avec sursis, mandat d’arrêt.

Requis : 9 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Amende de 150 000 euros.

Valérie Mouren :

3 ans dont 2 ans avec sursis, 100 000 euros.

Requis : 3 ans d’emprisonnement dont 1 an de sursis probatoire pendant 2 ans. 250 000 euros d’amende.

Saveria Lucchini :

4 ans de prison dont 18 mois avec sursis, mandat d’arrêt. 200 000 euros d’amende.

Requis : 6 ans d’emprisonnement assortis d’un mandat de dépôt. 500 000 euros d’amende.

Hugo Azoulay :

4 ans dont 30 mois avec sursis, 250 000 euros d’amende.

Requis : 5 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Amende de 500 000 euros.

Philippe Porri :

1 an de prison avec sursis, 16 000 euros d’amende.

Requis : 3 ans d’emprisonnement. 50 000 euros d’amende.

Jacques Pastini :

2 ans de prison dont 6 mois avec sursis, 16 000 euros d’amende.

Requis : 2 ans d’emprisonnement dont 6 mois de sursis probatoire pendant 2 ans. 50 000 euros d’amende.

Ahmed El Bojarfaoui :

18 mois de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende.

Requis : 3 ans de prison avec sursis. Amende de 50 000 euros.

Angélique Peretti :

Relaxé

Requis : 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d’amende et interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant un an.

Jean-Laurent Susini :

3 ans de prison dont 1 an avec sursis, 250 000 euros

Requis : 3 ans de prison dont 1 an avec sursis. 250 000 euros d’amende.

Les réactions de la défense

Au sortir de l’audience, qui a duré plus d’une heure, et qui a également démarré avec une bonne heure de retard pour des raisons d’extraction, les réactions étaient pour le moins mitigées dans les rangs de la défense.

« Consternée » par la condamnation et le mandat d’arrêt décerné à l’encontre de Saveria Lucchini, Me Charlotte Cesari, conseil de cette dernière aux côtés de Me Bruno Rebstock, a partagé son sentiment : « Le tribunal, en préambule, avait indiqué qu’il prendrait en compte les situations personnelles de chacun des prévenus. Force est de constater que la situation personnelle de notre cliente n’a nullement été prise en compte, puisqu’elle élève seule un petit garçon de 4 ans. Et aujourd’hui, on décerne un mandat d’arrêt à son encontre alors qu’elle aurait pu être aménagée par une libération conditionnelle parentale. Sur la culpabilité, nous n’avons pas encore la motivation, qui reste floue; par conséquent, nous sommes consternés par cette décision. »

Me Emmanuel Molina estime « satisfaisante et juste » la double relaxe « obtenue de l’ensemble des chefs d’extorsion ». Selon lui, elle « démontre l’innocence enfin reconnue de Pascal Porri, que nous n’avons cessé de marteler ». En revanche, il estime que « le surplus de la condamnation interroge en droit comme en fait, le tribunal n’ayant pas été jusqu’au bout de la logique pourtant engagée de déconstruction de la procédure qui, selon nous, s’imposait ».

Me Julien Pinelli accueille plutôt favorablement la décision prononcée à l’encontre de son client, Antony Perrino : « Le tribunal a rendu une décision que l’on peut qualifier de satisfaisante et, surtout, de parfaitement acceptée. Il s’est fondé sur ces trois mois d’audience, sur le contenu d’un dossier, pour en tirer les conséquences qui lui semblaient les plus fondées. Le tribunal répond surtout à la question qui avait été posée par le ministère public et qui, depuis 4 ans, pèse très lourdement sur Antony Perrino, sur son honneur et sa réputation. La question était de savoir s’il était ou non membre d’une organisation criminelle, je crois qu’à travers cette décision qui n’emporte pas, et c’était notre principale demande, une nouvelle incarcération, eh bien le tribunal nous répond que non. »

Me Jean-Charles Vincensini rappelle volontiers que le tribunal a relaxé « Jean-Pierre Valentini de l’infraction de blanchiment, non qualifié, qui était censée établir sa complicité et sa proximité avec le Petit Bar. Le tribunal vient de juger, en relaxant notre client de ce chef, qu’il n’était pas complice du Petit Bar ».

L’avocat, qui intervenait aux côtés de Me Stéphane Ceccaldi a par ailleurs noté que son client a été condamné « pour avoir payé des fausses factures ». « Le tribunal n’a pas voulu se prononcer sur les motifs de ce paiement et l’a condamné à une peine intégralement avec sursis et à une amende qui est d’ores et déjà réglée », a-t-il également précisé.