Carlos Tavares était venu les voir à la mi-novembre 2024 et deux semaines plus tard, Stellantis annonçait son départ – surprise – de la direction générale du groupe automobile. Depuis, les 2 000 salariés de l’usine de la Janais, au sud de Rennes, attendaient de connaître le nom de leur nouveau patron. Après près de six mois de tractations et de négociations, le suspense a été levé ce mercredi 28 mai : c’est l’Italien Antonio Filosa, jusqu’ici directeur de la zone Amériques et responsable mondial de la qualité, qui enfilera le costume.
Au sein de l’usine bretonne, l’annonce suscite pour l’instant prudence et méfiance chez les organisations syndicales, qui attendent de rencontrer le grand boss pour connaître ses priorités stratégiques. « Pour le moment, c’est un peu « wait and see », reconnaît Didier Picard pour la CFE-CGC. Mais une chose est sûre : nous avons des attentes fortes ! »
Si la nomination d’un nouveau directeur général était attendue avec impatience, elle n’apaise en rien les craintes sur l’avenir de l’usine, dont l’activité reposera à court terme sur un seul véhicule, en l’occurrence la nouvelle version du SUV C5 Aircross. « Il faut sortir du mono-produit, c’est la seule façon de garantir la pérennité du site et de ses emplois, plaide Laurent Valy, délégué syndical CFDT (premier syndicat du site). On espère qu’il va nous entendre sur ce sujet. » Même discours à la CFE-CGC, où Didier Picard estime que puisque « l’usine a montré qu’elle pouvait être performante et qu’elle a réussi à implanter un nouveau véhicule avec succès », il faut « continuer à lui faire confiance et lui confier un deuxième modèle ».
On aurait préféré un directeur général avec les chevrons davantage marqué sur le front
Point de vigilance
Les syndicats se montrent toutefois vigilants, du fait du profil d’Antonio Filosa. Âgé de 52 ans, l’homme a fait l’essentiel de sa carrière au sein du constructeur italo-américain FCA (Fiat Chrysler) puis a intégré Stellantis au moment de la fusion avec le français PSA (Peugeot Citroën), en 2021. Son arrivée va-t-elle avoir des conséquences sur les usines hexagonales, qu’il connaît moins bien, contrairement à Carlos Tavares, qui était issu de PSA ? « Ce n’est pas pour nous rassurer, glisse Laurent Valy. On aurait préféré un directeur général avec les chevrons [le logo de Citroën, propriétaire historique de la Janais, NDLR] davantage marqué sur le front. On espère qu’il ne privilégiera pas davantage les États-Unis ou l’Italie au détriment de la France, qui est une terre d’automobile. »
À la CGT, Fabrice Lucas ne partage pas complètement ces craintes : « Je ne suis pas sûr qu’avoir quelqu’un venant de FCA change beaucoup la donne. On avait jusqu’ici quelqu’un de PSA et force est de constater qu’entre les suppressions de postes et les économies demandées, il n’a pas beaucoup protégé ses usines en France… Et puis, Antonio Filosa a la même mission que Carlos Tavares : relever le cours de l’action et générer des profits pour les actionnaires ».
Pour un management « plus humain »
Si le nouveau « DG » est attendu sur ces aspects stratégiques et industriels, il sera aussi très regardé sur le management, après une ère Tavares souvent décrite comme rigide et autoritaire et marquée par des demandes d’économies et de compétitivité à tous les étages. Jugé chaleureux et rond, Antonio Filosa « envoie des premiers signaux qui vont dans le bon sens : un management plus humain, plus accessible et plus ancré dans les réalités du terrain », considère David Ruellan, de la CFTC, qui demande à Antonio Filosa de « remettre les salariés au cœur de la production ».
Pour Didier Picard, l’intérim assuré à la direction générale par John Elkann, le président du conseil d’administration du groupe, après le départ de Carlos Tavares, a déjà permis d’« esquisser de premières inflexions », « avec une volonté de faire baisser les tensions avec les politiques ou les fournisseurs. Il faut maintenant confirmer tout ça avec les salariés et retrouver la confiance et l’élan des collaborateurs. »