Par
Aurelien Cardot
Publié le
29 mai 2025 à 6h32
Depuis la fenêtre de leur appartement, ils ont pris l’habitude de regarder les scooters arriver, patienter, repartir. Mais pas d’un œil attendri. Rue Barreyre, dans le quartier des Chartrons à Bordeaux, les riverains vivent depuis deux ans au rythme d’une dark kitchen installée au rez-de-chaussée d’un immeuble. Son succès commercial a un prix : odeurs de friture, nuisances sonores, incivilités et conflits réguliers entre livreurs et automobilistes.
Les habitants, en contact avec la mairie, tentent tant bien que mal de faire changer les choses. Leur solution : faire déplacer le restaurant.
« Je me bats surtout pour les gamins «
« Je ne peux plus ouvrir mes fenêtres à partir d’une certaine heure le soir « , souffle Thierry Le Jeune, habitant du quartier. Sur le trottoir, des scooters stationnent en file, obligeant les passants à marcher sur la chaussée. Des voitures bloquent régulièrement les entrées de parking. Et le matin, les enfants de l’école maternelle voisine doivent parfois enjamber papiers gras et restes de la veille. « Je me bats surtout pour les gamins », insiste Thierry Le Jeune.
Le point de crispation : cette cuisine, installée dans un local auparavant occupé par une coiffeuse, qui prépare exclusivement des repas pour la livraison. Les livreurs n’y entrent même pas, ils attendent dehors que leur commande leur soit remise. Et parfois, le ton monte. « Hier soir, quelqu’un était garé devant le parking et refusait de bouger tant qu’il n’avait pas sa commande. «
Thierry Le Jeune ne pointe pas du doigt les livreurs : « Ce n’est pas aux Ubers que j’en veux, c’est le restaurant qui ne devrait pas être là. » Un commerce qu’il juge inadapté à son environnement, mitoyen d’une école, dans une rue résidentielle étroite. Il l’affirme : « s’il n’y a plus de cuisine, il n’y aura plus de scooters. »
Vidéos : en ce moment sur ActuUn dialogue engagé avec la mairie
Côté mairie, Sandrine Jacotot, adjointe au maire chargée des commerces, assure avoir pris la mesure du problème. Des discussions ont été engagées avec les plateformes de livraison et avec le gérant de l’établissement concerné qu’elle décrit comme « un jeune homme désireux de travailler dans de bonnes conditions ».
Avec l’appui du franchiseur national, plusieurs déménagements de dark kitchen ont été enclenchés vers des zone moins résidentielle, notamment près de la gare et aux quais Bacalan.
Mais au-delà de ces cas, la ville réfléchit à une réglementation plus large. Aujourd’hui, les dark kitchen sont encore considérées comme des commerces artisanaux. Rien ne les empêche de s’implanter en plein cœur de la ville.
Le futur plan local d’urbanisme (PLU), actuellement en révision à l’échelle de la métropole, pourrait cependant permettre d’encadrer davantage leur implantation. « Si demain nous jugeons que ces structures doivent être réservées à des zones d’activités, nous pourrons le faire via le PLU », affirme l’adjointe.
Des responsabilités partagées
Le diagnostic est donc partagé : les riverains visent la cuisine et les conditions concrètes de son exploitation. La mairie, elle, interpelle plus largement les plateformes.
Sandrine Jacotot a invité Uber Eats et Deliveroo à réfléchir à une organisation logistique qui évite les rassemblements en bas des immeubles, de manière générale. Elle a même sollicité des anciens livreurs reconvertis en entrepreneurs pour partager des pratiques plus respectueuses de l’espace public.
Selon l’adjointe, l’enjeu dépasse les limites de la rue Barreyre. Car cette situation soulève une question plus large : « A-t-on besoin d’être livré ? Et si oui, dans quelles conditions ? », questionne-t-elle en s’adressant aux consommateurs.
À Bordeaux, la livraison à domicile s’invite dans le débat public. Et les choix à venir dessineront la ville de demain.
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.