« Avec », « Whitefields », « Librairie », « Le Saint-Jacques café »… Jacques Thipthiphakone, alias Tieck, est le maître de la périphérie rennaise. À l’opposé des patrons de bistrots, qui proposent quelques plats de saison à une poignée de convives, le quasi-quadragénaire ne fait pas dans la demi-mesure. Certes, sur la cartographie des « empires » locaux, ce cadet d’une fratrie de quatre enfants n’est pas le plus gros. À peine six enseignes, dont deux restos asiatiques. Mais ces immenses bâtiments d’acier et de béton font figure de 33 tonnes lancés à plein régime sur les autoroutes de la restauration rennaise. Sur des surfaces de plusieurs centaines de mètres carrés, les 150 employés de son groupe – Envie – peuvent servir simultanément entre 200 et 300 personnes dans chaque établissement, avec des dizaines de références de plats et de tapas.
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Après avoir ouvert « Le Wok » près de la gare en 2007, le patron s’est vite senti à l’étroit. « On a commencé dans le centre, mais on a vite été confronté aux contraintes classiques : le voisinage, les manifs, et surtout la circulation et le manque de parkings, expliquait-il au Mensuel de Rennes en octobre 20241. On se projetait déjà en couronne de Rennes. »
« Tout est parti d’une dispute »
Après avoir enchaîné sur plusieurs franchises asiatiques avec des membres de sa famille, cet ancien élève du lycée Basch change de dimension en 2017. Direction la zone des Champs blancs pour installer son premier « food court » : Whitefields. Le principe ? Sur 700 m2, il propose cinq « corners » axés sur quatre univers culinaires (italien, français, asiatique et healthy), complété par un bar. Un concept à la sauce américaine vraisemblablement inspiré par un séjour outre-Atlantique alors que le jeune Jacques n’avait que 20 ans.
Au lycée, j’avais un fort taux d’absentéisme. L’année du bac, j’ai manqué trois mois, par flemme.
Tout est parti d’une dispute avec son père. « J’ai dû quitter l’appartement familial au Blosne, raconte-t-il sur un podcast dédié aux entrepreneurs. Ça a été la douche froide. Ma grande sœur était aux États-Unis, elle m’a dit de la rejoindre. » L’ex-étudiant en BTS négociation et relation clientèle se forme alors pendant un an aux métiers de la restauration dans les banlieues de Chicago. Le choc culturel est énorme. Il y apprend la notion de travail version US.
« Au lycée, j’avais un fort taux d’absentéisme. L’année du bac, j’ai manqué trois mois, par flemme. » Aux States, tout change. « On me voyait en ville de 8 h à 2 h du matin. Au point qu’on m’appelait le fantôme d’Elmhurst, la banlieue où je travaillais. » Une « suburb » typiquement américaine, où la bagnole est reine.
Grâce à la voiture
La voiture, c’est précisément le ciment des méga-cantines de Thipthiphakone. Certes, il y a bien les travailleurs du coin qui viennent pour le repas du midi et les afterworks. Mais aussi nombre de périurbains habitant Bruz, Chantepie ou Noyal-sur-Vilaine et qui n’ont pas envie d’enquiller une heure de bouchon pour aller se descendre une mousse en ville. Le modèle bagnolo-dépendant est totalement assumé par l’intéressé. « On apporte une nouvelle façon de consommer sur les temps libres, soirs et week-ends. On voit bien les bouchons le samedi pour aller vers Rennes. Les parcs relais sont complets. Nous, on apporte une vraie solution pour proposer aux gens des couronnes des espaces de détente. » Et ça marche. Tieck ne cesse de décliner sa recette aux extrémités de la capitale bretonne : Avec en 2018, Saint-Jacques café en 2023 et, le dernier né, Librairie en 2024.
« On a commencé dans le centre, mais on a vite été confronté aux contraintes : circulation et manque de parkings »
Business qui marche
Et tant pis pour l’image de marque, qui peut être écornée par des installations dans des zones souvent perçues comme les avatars de la France moche. « L’inspiration vient des États-Unis. Là-bas, ils ont réussi à réinventer les zones industrielles. À Rennes aussi on a de belles friches. On s’inscrit dans cette architecture qui redevient tendance et on respecte ce passé industriel en réinventant le concept. »
Chaque resto de Tieck a, de fait, une identité bien particulière : cinéma au Saint-Jacques café, littérature chez Librairie, tatouage, rock et grosses cylindrées chez Avec… Visiblement, le business marche. Dans un contexte pourtant compliqué pour la restauration, le résultat net du groupe Envie a nettement progressé entre 2022 et 2024. De quoi donner des idées à la concurrence ? Une chose est sûre, dans la foulée d’Avec, plusieurs patrons ont commencé à déplacer leurs pions dans les zones d’activités. « Je pense que les gens ont regardé comment on s’est développé. C’est une bonne chose. Quand elle est équilibrée, la concurrence est saine. »