Par
Nicolas Claich
Publié le
8 avr. 2025 à 16h40
Les enquêteurs de la police judiciaire de Caen (Calvados) les avaient dans le collimateur depuis un an et demi. Trois marins-pêcheurs de Ouistreham, ainsi que les compagnes de deux d’entre eux, ont été interpellés, dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4 avril 2025, au cours d’une vaste opération de police.
« Les trafiquants ont besoin d’intermédiaires »
Suite aux échouages de ballots de cocaïne observés depuis deux ans sur les côtes bretonnes et normandes, les policiers caennais ont reçu des renseignements concernant un chalutier amarré à Ouistreham. « Son équipage était soupçonné de travailler pour le compte de trafiquants originaires du Havre, afin de récupérer de la cocaïne pour leur compte, a expliqué Frédéric Teillet, le procureur de la République de Rennes, lors d’une conférence de presse, lundi 7 avril 2025. Les trafiquants ont besoin d’intermédiaires. Tout le monde n’est pas capable d’aller au large pour récupérer des ballots en pleine mer ». Initiée par le parquet de Caen, l’enquête avait ensuite été transmise à la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) de Rennes, compétente en matière de crime organisé.
Les marins ouistrehamais étaient suspectés d’être un maillon d’un trafic utilisant la technique du « drop-off », l’une des nombreuses (containers, sous-marins, mules dans des avions, par la route depuis l’Afrique du Nord…) employées pour faire venir de la drogue en Europe : un cargo chargé de cocaïne part d’Amérique du Sud ou des Caraïbes, lâche des ballots de drogue en pleine mer, au large des côtes françaises, avant de reprendre sa route vers un port d’Europe du Nord. Équipés de balises GPS, les ballots de drogue sont ensuite récupérés par un bateau de pêche.
Dix-huit mois de surveillance avant de passer à l’action
C’est ce qu’il s’est passé début avril. Après 18 mois de surveillance, notamment téléphonique, les enquêteurs ont compris qu’une livraison se préparait. Elle concernait une quantité de 800 kilos de cocaïne, selon les écoutes.
Quand les Douanes ont informé les enquêteurs qu’un cargo rempli de drogue avait quitté le port de Paranagua, au Brésil, réputé pour être le point de départ de nombreux trafics, l’opération s’est mise en place. Les déplacements du cargo et du chalutier suspect ont été scrutés.
Le transbordement a eu lieu à plusieurs milles nautiques à l’ouest des îles anglo-normandes de Guernesey et Jersey. Le cargo, en route pour Amsterdam, a dévié sa route.
Frédéric Teillet, procureur de la République de Rennes
Le chalutier récupère les ballots, puis les transfère à une vedette
Le chalutier ouistrehamais a ensuite ramené les ballots de drogue à son bord, avant de reprendre le chemin du port. En baie de Seine, la cocaïne a une nouvelle fois changé d’embarcation : une vedette rapide est venue à la rencontre du chalutier pour charger les produits stupéfiants et les emporter jusqu’à Tancarville (Seine-Maritime), son port d’attache.
Les hommes du Raid ont sécurisé l’opération de police en mer de la Manche, dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4 avril 2025. ©si cop
Le cargo, de son côté, a été dérouté par un patrouilleur des Douanes jusqu’au port de Dunkerque. Les 22 membres de son équipage, originaires des Philippines, ont été placés en garde à vue. Dix-neuf d’entre eux ont été mis hors de cause, à ce stade de l’enquête, mais trois ont été mis en examen.
11 personnes mises en examen
Six autres hommes, dont les trois marins-pêcheurs, ont aussi été interpellés à Ouistreham, Tancarville, et au Havre. Ils ont été mis en examen, ainsi que les deux conjointes des pêcheurs de Ouistreham. Celles-ci ont été placées sous contrôle judiciaire, tandis que les autres ont été incarcérés. « Ils sont nés entre 1976 et 1999 et vivent dans le Calvados et en Seine-Maritime, a indiqué Frédéric Teillet. L’un d’eux est un ressortissant belge d’origine albanaise ». Par ailleurs, le chalutier et la vedette ont été saisis par la justice.
Une fois les emballages enlevés, la quantité de drogue saisie s’élève à 630 kilos, ce qui représente une valeur à la revente d’environ 37 millions d’euros. « C’est la première fois qu’on intercepte une livraison avec un tel mode de trafic », s’est félicité le procureur de la République de Rennes.
« Aucune impunité » pour le monde de la mer
Frédéric Teillet a mis en garde le monde de la mer face à la tentation de « l’argent facile ».
S’ils participent à des trafics, les pêcheurs subiront les mêmes peines que les trafiquants. Il n’y aura aucune impunité. Sans compter qu’ils peuvent subir les représailles de criminels sans scrupules : menaces, enlèvements, séquestrations, voire assassinats, comme c’est déjà arrivé au Havre.
Frédéric Teillet, procureur de la République de Rennes
L’importation de produits stupéfiants est un crime passible de la cour d’Assises. La peine encourue est de 30 ans de réclusion criminelle.
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