C’est l’un des chocs de la journée de ce samedi à Roland-Garros. L’Espagnole Paula Badosa, n° 10 mondiale, affronte l’Australienne Daria Kasatkina, 17e à la WTA. Après trois ans à jouer les apatrides sur les tableaux d’affichage depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, l’ancienne Russe, 28 ans, a en effet décidé d’épouser une nouvelle nationalité en mars dernier.
Fini le drapeau blanc-bleu-rouge (devenu une simple case transparente) de la mère patrie et bonjour la bannière un peu plus étoilée de l’ancienne colonie britannique. Il faut dire que la jeune femme, lauréate de huit trophées WTA, n’a pas grand-chose de la citoyenne idéale aux yeux du président Vladimir Poutine malgré sa naissance à Togliatti, berceau du constructeur Lada, à 1 000 km à l’est de Moscou.
Être lesbienne, défenseuse des droits LGBT et ouvertement opposée à la guerre n’est pas vraiment dans la droite lignée idéologique du Kremlin… Il y a quelques semaines, lors du tournoi de Madrid, la demi-finaliste de Roland-Garros 2022 (juste avant son coming out) s’est posée un moment pour évoquer au Parisien-Aujourd’hui en France son changement de vie. Avec, jamais loin d’elle, sa compagne Natalia Zabiiako, patineuse artistique sur glace et médaillée d’argent aux JO 2018.
« Je suis très fière du choix que j’ai fait, souffle-t-elle. Déjà parce qu’il est plus facile de voyager avec un passeport australien. Mais j’ai toujours apprécié la vie là-bas. J’étais presque un peu jalouse de la chance qu’ont les gens d’y être nés. Les Australiens sont accueillants, bienveillants et cohabitent tous en paix. La philosophie et l’esprit d’ouverture du pays sont très proches de mes valeurs. »
À part celui éventuel du pays d’accueil — cette fan du Barça vit en partie en Espagne — Kasatkina n’avait de toute façon pas vraiment le choix. « C’est dur de franchir le pas, poursuit l’ex-lauréate chez les juniors à Paris. Mais j’étais vraiment obligée par rapport à mon orientation sexuelle. Si je veux être libre et vivre ouvertement ma vie, je ne peux pas le faire en Russie. Je me demandais juste comment ça allait être perçu, si j’avais bien fait ou pas, mais j’ai vite été rassurée. »
« J’ai dû renoncer à une part de moi-même »
Avec sa renommée internationale et son aisance financière (elle a amassé près de 12 millions d’euros de gains depuis 2014), la désormais ex-Russe n’a pas vraiment les mêmes armes que tous ses compatriotes contraints de vivre dans une quasi-clandestinité leurs préférences sexuelles ou politiques.
« Bien sûr que cela peut paraître égoïste, concède la tombeuse de Léolia Jeanjean au tour précédent. Mais chacun a sa propre vision et son propre chemin. Cela n’affecte personne d’autre que moi. L’exemple que je peux transmettre, c’est de savoir prendre ses responsabilités et être acteur de sa propre vie. Si vous voulez changer quelque chose, vous devez le faire. Si vous êtes bien où vous êtes, restez-y. Sinon, faites tout pour partir… »
Pas facile cependant de laisser derrière soi un pan de son existence, même si celui-ci s’est largement effrité ces dernières années. « C’est le revers de la médaille, résume celle qui était de toute façon persona non grata sur sa terre natale. C’est génial pour mon avenir mais j’ai dû renoncer à une part de moi-même. J’y pensais quand même depuis un moment, à la fois à cause du tennis (les joueurs russes ou biélorusses avaient par exemple été bannis de Wimbledon en 2022) et de mon mode de vie. La guerre a évidemment pesé très lourd, la ligne officielle s’est durcie en Russie. Avant, ce n’était presque pas si mal. Mais tout a vraiment empiré. »
Si sa position anti-Poutine est claire, nette et bien affichée, Kasatkina cultive pourtant le paradoxe. En novembre dernier, elle a ainsi fait le voyage en tant que remplaçante aux Masters de Riyad dans un pays, l’Arabie saoudite, qui n’est pas particulièrement une référence en matière de droits des femmes et où l’homosexualité est encore passible de la peine de mort…
« Je veux penser que le tennis et le sport en général constituent un pont, argumente-t-elle. Si des sportives se rendent dans ces pays, alors cela signifiera que les femmes là-bas auront plus d’opportunités de faire ce qu’elles désirent et seront plus libres de leurs choix. Et si quelque part nous pouvons aider en jouant, c’est une bonne chose. Montrer qu’une femme peut taper dans une balle et qu’il n’y a rien de mal à ça. »