« Cette statue est destinée à rester. » Alors que le maire de Nice, Christian Estrosi, organisait ce vendredi 30 mai 2025 une cérémonie sous la sculpture à l’effigie de Jeanne d’Arc, devant l’église du même nom, il a prononcé cette phrase, loin d’être anodine.

L’hommage – en ce jour de sainte Jeanne-d’Arc – n’avait en effet rien d’anecdotique et résonnait comme une mise au point. Puisque, pour mémoire, la commande publique de fourniture de l’œuvre est attaquée devant la justice. Christian Estrosi a ainsi déclamé un discours clair et concis, martelant sa position tandis que la cour d’appel de Marseille n’a pas encore tranché sur le devenir de l’œuvre (1). Déboulonnée ou pas?

« Quelle que soit l’issue du contentieux, je remercie cette mobilisation qui, derrière André Barthe et Joachim Murat, a amené cette souscription [qui vise 170.000 euros mais, pour l’instant, en atteint le tiers (2)] à pouvoir, le cas échéant, se substituer à l’engagement des institutions de notre collectivité à ériger cette statue, cette œuvre d’art. »

Le maire a ensuite convoqué l’histoire: « Il y a ceux qui disent que Jeanne d’Arc n’est pas niçoise et qu’en 1431, Nice n’était pas la France. Comme si Nice n’était pas profondément française. Comme si nous n’avions pas embrassé toute son histoire, toute sa mythologie en devenant français, il y a 150 ans. Je veux rappeler le premier acte des Niçois lorsqu’ils ont choisi d’adhérer à la France et de faire de Paris leur capitale: ériger l’église Notre-Dame sur le modèle de la cathédrale de Paris parce que Marie est la sainte protectrice de la France. Et donc, lorsque les Niçois ont choisi d’embrasser la France, c’est le premier geste symbolique qu’ils ont accompli. »

« Je refuse qu’elle soit le symbole de l’extrême droite »

Puis, répondant point par point aux autres critiques formulées: « Il y a ceux aussi qui considèrent que regarder Jeanne d’Arc, c’est voir une sainte de l’Église catholique et qu’au nom de la laïcité, il ne faudrait pas la célébrer. Comme si la laïcité, c’était la haine des religions et de la foi. Comme si une sainte ne pouvait pas aussi être une grande figure républicaine. Il y a ceux qui la trouvent trop guerrière, ceux qui la trouvent trop femme. Comme si une France armée, puissante, fière d’elle et de son histoire, était forcément une France belliqueuse. Et comme si une femme ne pouvait pas porter une certaine idée de la résistance et de la France, les armes à la main. »

Il poursuit, sur le même ton: « Il y a enfin ceux qui voient en Jeanne d’Arc le porte-drapeau de l’extrême droite. Comme si elle leur appartenait. Comme si l’histoire de France leur appartenait. Je refuse qu’elle soit le symbole de l’extrême droite ce serait dire qu’ils ont gagné la bataille des idées et des valeurs. Selon moi, la grande leçon de Jeanne d’Arc n’est pas identitaire. Elle nous invite à nous voir comme nous sommes, dans toutes nos différences, à faire l’effort de dépasser ces différences, ces oppositions, ces haines, pour nous reconnaître dans autre chose. »

« Le miroir des passions françaises »

Après la démonstration, la conclusion: « La vérité, c’est que Jeanne d’Arc, c’est tout cela à la fois. C’est ce qui en fait un visage fidèle de notre pays. De ses fiertés et de ses contradictions. De cette transcendance qui fait que, malgré tout, malgré toutes les différences, la France est la France, unie et unique. Toutes ces réactions ne disent rien de Jeanne d’Arc mais beaucoup de notre époque. (…) Au lieu de voir le symbole de rassemblement qui peut réunir à la fois les catholiques, les royalistes, les républicains, les Français d’hier et ceux d’aujourd’hui, et au-delà des catholiques toutes les religions, on se focalise sur ceux qui nous divisent. Eh bien, pas nous. Quand je pense à Jeanne d’Arc, c’est Jacques Chirac que j’entends dire « Jeanne d’Arc appartient à tous les Français ». Je ne laisserai Jeanne d’Arc ni aux uns, ni aux autres. J’en fais un point d’honneur et un symbole, car Jeanne d’Arc a toujours été le miroir des passions françaises. » Et c’est peu dire: depuis la , les oppositions se cristallisent, le débat débordant très largement de l’aspect purement juridique pour déraper allégrement sur la symbolique.

1. En première instance, le tribunal administratif, saisi par le préfet, avait annulé la commande de 170.000 euros à l’atelier Missor, sans publicité ni mise en concurrence, de la monumentale (7 tonnes) sculpture. L’affaire est désormais entre les mains de la cour d’appel de Marseille, qui doit s’y pencher début juillet. En parallèle, saisi par l’élu d’opposition Jean-Christophe Picard, le parquet avait ouvert une enquête pénale.

2. L’ex-élu et l’aristocrate avaient lancé une souscription pour substituer un financement privé à l’argent du contribuable.