Il serait tentant de réduire les rapports de Michel Bavastro à la politique à quelques caricatures. Mais ce faisant, on travestirait une réalité protéiforme qui ne se réduit pas – loin s’en faut ! – à un clivage gauche-droite.
« Homme de droite, Michel Bavastro n’a jamais été gaulliste, rappelle Charles Guerrin, ancien journaliste et dirigeant syndical à Nice-Matin de 1963 à 2004. Il était plutôt porté vers l’Algérie française, en phase avec les dizaines de milliers de pieds-noirs qui ont afflué à cette époque dans les Alpes-Maritimes et le Var, modifiant en profondeur la démographie azuréenne et notre lectorat. Mais dans le même temps, soucieux de se concilier les faveurs du pouvoir, Bavastro a soutenu presque ouvertement le candidat gaulliste Louis Delfino contre le maire Jean Médecin aux municipales de 1965. Sans succès… »
Vue depuis la capitale azuréenne, la donne est encore plus complexe. Si Nice-Matin devient clairement « médeciniste » dans les années cinquante, ce n’est pas par idéologie, encore moins par soumission vis-à-vis du baron niçois : plutôt par « convergence d’intérêt entre le quotidien dominant et l’homme fort de la politique locale », souligne Jean-Rémy Bezias, docteur en histoire contemporaine, dans une passionnante étude publiée en 2016 (1).
« La consigne : plus une photo de Médecin dans nos colonnes ! »
« En tant que patron de presse, Bavastro se classe dans un modèle d’homme d’affaires cherchant avant tout à développer son entreprise, précise-t-il. [Il préfère] l’influence discrète à l’expression ouverte de ses préférences politiques, néanmoins sans ambiguïté. Ce faisant, l’homme fort de Nice-Matin favorise au moins indirectement la tendance dominante. [Le journal] semble en effet s’abstenir de toute fonction d’investigation ou de prise de position critique face au pouvoir local, tout au moins à l’époque de Jean Médecin. »
Lorsque Jacques Médecin succède à son père, en 1966, tout change. Celui que l’on surnomme déjà le « Cobra » toise avec un brin de condescendance ce jeune homme qui fut journaliste à Nice-Matin avant de se lancer dans la vie publique.
« Il ne digérait pas que l’un de ses anciens employés ose lui tenir la dragée haute, décrypte Maurice Huleu, grand reporter, chargé du traitement de la politique. La consigne a été rapidement passée : plus un mot, plus une photo de Jacques Médecin dans nos colonnes ! Ce qui n’allait pas sans poser, au quotidien, des problèmes insolubles… »
La guerre froide entre Bavastro et Médecin dure jusqu’au crépuscule des années soixante-dix. En 1979, alors que Nice-Matin connaît le conflit social le plus long de son histoire – avec dix-neuf jours de non-parution –, le maire tend la main à son vieil adversaire en mettant à sa disposition les moyens de la Ville pour imprimer un journal « pirate ». Michel Bavastro s’en plaindra amèrement, quelque temps après, devant les représentants syndicaux de son entreprise : « À cause de vous, j’ai dû pactiser avec ce voyou ! »
« Les amis du patron »
Jusqu’au terme de ses 47 ans de règne à la tête du journal, Michel Bavastro impose des choix davantage dictés par ses affinités personnelles que par de véritables accointances idéologiques.
Tous les journalistes de Nice-Matin savent alors que telle ou telle personnalité n’a pas droit de cité dans les pages. « Les intéressés étaient également au courant, sourit un ancien photographe. Certains avaient l’obligeance de se déplacer hors du cadre lorsque nous sortions nos objectifs, afin de ne pas ‘‘gâcher’’ la prise de vue. »
À l’inverse, les « amis du patron » avaient droit à tous les égards. Malheur à celui qui négligeait de relayer la parole de ces personnalités bien en cour !
« Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à ce petit jeu, Michel Bavastro ne subissait rien ; il imposait, insiste Maurice Huleu. Il n’était pas soumis aux édiles. C’est lui, et lui seul, qui tranchait – et ses sentences étaient sans appel. »
François Rosso, qui fut notamment chef d’agence à Antibes, Grasse et Cannes, souligne que « l’arbitraire du patron s’exerçait surtout vis-à-vis des élus niçois. À l’ouest des Alpes-Maritimes, la pression n’était pas la même. Tout comme à l’est du Var. »
Ce système s’est fissuré à la fin des années quatre-vingt-dix. L’arrivée à la présidence de Michel Comboul, après la prise de contrôle du Groupe Lagardère, a profondément modifié les relations entre Nice-Matin et le microcosme politique. « Pour la première fois, on a lu un compte rendu d’une réunion du PS dans le journal, se souvient un ancien ouvrier rotativiste. À ce moment-là, on a compris que les temps avaient changé. »
1. « Pouvoir dans la presse et influence politique : les dirigeants de la presse niçoise », Cahiers de la Méditerranée (juin 2016).
Bien que conservateur, Michel Bavastro – au centre – ne fut jamais gaulliste. En cela, il a toujours été en phase avec une partie de l’électorat niçois. Photo DR / Collection Alain Bavastro.