« Les petites fenêtres » ont commencé à s’entrouvrir avant le confinement. Mais le livre était déjà dans la salle d’attente des ateliers de création de Lucie Braud, alias Catmalou, et de Lauranne Quentric. L’autrice et l’illustratrice se connaissent depuis, depuis… au moins ça, oui. « On s’était déjà rencontré en Aquitaine, quand Lucie était venue donner des cours d’écriture à la fac », sourit Lauranne. Ce n’était pas la vraie rencontre. Elle n’est venue que plus tard. « En 2016, j’ai proposé à Lauranne un gros travail d’illustration autour de portraits d’ados et d’adultes rencontrés en Aquitaine », explique Lucie. L’amorce des Petites fenêtres était déjà dans la collaboration. « À cette époque, j’ai fait la connaissance d’une petite fille de 5 ans qui savait parfaitement lire et écrire. J’étais surprise. Sa mère m’a expliqué qu’elle correspondait avec son grand-père, qui avait été détenu à la prison de Lannemezan. Elle écrivait sur des cartes postales ». Lucie a gardé cette histoire dans ses cartons. Plus tard, lors d’ateliers d’écriture à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, elle retrouvera ce fil narratif. Et avec cela, l’idée et l’envie de parler d’enfermement, mais aussi de l’humanité qui ne s’arrête pas quand on passe les portes du pénitencier.

Pas d’histoires d’enfermement après le confinement

Lucie quitte l’Aquitaine, jette les amarres à Doëlan, et retrouve plus tard Lauranne… qui s’installe plus tard à son tour à Clohars-Carnoët. « Je ne la suivais pas, je cherchais un endroit en Bretagne… et voilà ». Et la collaboration de Lucie l’autrice et de Lauranne l’illustratrice reprend de plus belle. Elles proposent une résidence de création de quatre semaines, soutenue par le Centre national du livre (CNL), qui donnera naissance à un joli travail collectif des jeunes de l’Institut médico-éducatif (IME) François-Huon et du lycée Kerneuzec, à Quimperlé. Tout en travaillant sur le projet des Petites fenêtres. « Ce projet a été choisi par le CNL en 2019. Puis le confinement est arrivé. Il y a cinq ans, le projet était déjà bien avancé, mais on n’a pas trouvé d’éditeurs », observe Lauranne. « Nous avions des supers retours. Ils disaient que ça ne serait pas un livre facile à vendre, ça venait après une période d’enfermement. Après la Covid, ce n’était pas hyper attendu, comme thème », complète Lucie. « C’est un projet un peu maudit. On ne savait plus s’il allait aboutir ».

Les grands aplats noirs de Lauranne sont percés de touches de couleurs, des cartes postales d’une petite fille à qui Lucie donne ses mots.Les grands aplats noirs de Lauranne sont percés de touches de couleurs, des cartes postales d’une petite fille à qui Lucie donne ses mots. (Le Télégramme/Gwen Rastoll)« Ce qui m’intéresse, c’est l’humanité avant l’enfermement »

Jusqu’à ce que les Belges s’en mêlent. « Le livre est enfin sorti, il y a quelques semaines, chez un éditeur en Belgique, Alice Éditions. L’histoire ? C’est une petite fille qui échange avec son oncle emprisonné. Elle veut qu’il sache qu’elle ne l’oublie pas. Et elle écrit des cartes postales à ce tonton Jorge ». Le sujet pourrait déranger, il est abordé avec tendresse et humanité. « Je pense que nous sommes des êtres fondamentalement sociaux, et qu’exister à travers le regard de quelqu’un, c’est ce qui te permet de continuer à avancer. Ce qui m’intéressait, c’est l’humanité avant l’enfermement, sans évoquer la cause de l’enfermement ». Les mots de Lucie s’étalent autour des petites ouvertures qui s’élancent sur des étendues de lumière. « J’ai travaillé au crayon de couleur, en créant des fenêtres colorées qui viennent percer de grands aplats noirs. Je travaille beaucoup le découpage et le collage de papier de soie, mais j’aime adapter la technique au sujet », dit Lauranne.

« Les petites fenêtres » est un livre qui ouvre sur l’autre, en faisant tomber murs, barreaux et préjugés. Le livre était sélectionné pour le prix Philosophia, qui « met à l‘honneur des ouvrages jeunesse où la philosophie s’invite entre les lignes ». Lauranne et Lucie présenteront leur livre, en compagnie d’autres artistes, lors du Grand atelier : l’exposition de travaux communs d’artistes, reviendra à la fin de l’été, du 13 septembre au 11 octobre, à la chapelle Saint-Jacques de Clohars-Carnoët. Les deux autrices seront accompagnées de Cromwell (« Le Dernier des Mohicans »), de Guillaume Sorel (« Algernon Woodcock ») et de Laetitia Villemin, qui sort un double ouvrage photos et textes baptisé « Vertical ».