Blasphème, provocation, ineptie… Les réactions face à une simple question peuvent dépasser ce que l’on avait imaginé. L’interrogation de départ n’était pourtant pas piégeuse (et les interlocuteurs n’ont pas mal réagi, qu’on se rassure): le Cros est-il encore un village de pêcheurs?
Le dimanche 25 mai, de très nombreux Crossois s’étaient rassemblés pour la Stella Maris. Une fête traditionnelle au cours de laquelle les bateaux sont de sortie, la foule suit la procession de la Vierge Marie et l’on termine, après la messe, avec un moment convivial. L’occasion parfaite pour sonder les intéressés. La réponse est unanime: « Bien sûr que le Cros est encore un village ». De pêcheurs? « Oui! » Ils s’expliquent.
« Je passe ma vie au Cros »
Pierre, 76 ans dont 53 passés au Cros, l’affirme: « Il reste quelques pêcheurs mais ce n’est pas le nombre qui compte, c’est l’esprit. Et il est toujours là. Ce quartier est tourné vers la mer, vers le poisson. Mes enfants et mes petits-enfants sont nés ici et j’en suis fier. Comment ne pas l’être? C’est si beau: un port magnifique d’un côté, la vue sur les montages enneigés de l’autre. C’est unique! »
Renée, « 85 printemps le 2 août », s’est installée là lorsqu’elle a épousé son Gilbert dans les années 1960: « Ma belle-mère tenait la poissonnerie à côté de l’ancienne pharmacie. À l’époque, ça grouillait. L’esprit village est un peu moins fort, peut-être cela intéresse-t-il moins les jeunes. Quoique… Regardez le monde qu’il y a pour la Stella Maris: la foule est présente pour honorer les traditions. » Si cette retraitée « adore le Cros » qu’elle considère être « le plus beau pays du monde », elle se livre à une confession: « On a déménagé il y a peu, murmure-t-elle. À 150mètres… Mais je ne supporte pas. Alors je passe ma vie au Cros, hors de question d’aller vers Saint-Laurent-du-Var! »
Son amie Michèle, « là depuis 1953 », affiche un chauvinisme similaire, symptomatique de l’attachement des Crossois à leur quartier: « Petite, j’étais à l’école du Cros. Je n’ai qu’une chose à dire à ceux qui ne connaissent pas: venez visiter, venez voir comme c’est joli et comme on y est bien. Peut-être y a-t-il moins de pêcheurs mais l’ambiance est toujours là. » Une opinion partagée par Jeanine, fringante octogénaire. « Je n’habite pas là depuis très longtemps – 5 ans –, mais j’apprécie beaucoup l’esprit village qui règne au Cros. Je peux tout faire à pied et le cadre est un bonheur. »
Une identité créée autour de la mer
La fête de Stella Maris, le 25 mai 2025.
Difficile de parler du secteur sans discuter avec les membres de la commune libre du Cros-de-Cagnes. Son président, Jean-Pierre Woignier, est intarissable sur l’histoire, démarrée il y a plus de 200 ans avec ces petits cabanons où s’abritaient les pêcheurs professionnels de Menton lorsqu’ils venaient avant de s’installer définitivement. « Peu de temps après, la chapelle Saint-Pierre est érigée. » Le port abri est construit à la fin des années 1930.
« Et si, aujourd’hui, il ne reste que quelques pêcheurs, l’esprit village est toujours là. La preuve: quand on traverse une rue, on ne sait jamais combien de temps ça va prendre parce qu’on sait qu’on va croiser des gens et discuter. Les gens se connaissent encore malgré l’augmentation du nombre d’habitants. Et puis, il y a le musée qu’on a créé et qui est géré par les bénévoles. S’il n’y avait pas de cohésion, ce ne serait pas possible. »
Le premier prud’homme de la prud’homie des pêcheurs, Daniel Cozzolino, abonde: « L’identité du Cros s’est créée autour de la pêche avec les pêcheurs bien sûr mais également d’autres professions: charpentier de marine, poissonnier, fabricant des filets… Les traditions se perpétuent et on compte encore de vieilles familles au Cros. Tout ça se transmet… » Comme dans un village.