Par

Bernadette Ramel

Publié le

1 juin 2025 à 9h43

« Cette exposition est un tel bonheur, elle fait remonter des souvenirs d’une époque plus légère… », sourit Philippe Barthélémy, qui tient, avec sa conjointe Nathalie Lampérin, le café-brocante La Flemme, à Saint-Servan. Une trentaine d’œuvres du peintre Hervé Dubly y sont réunies jusqu’au début de l’été. Pour le plus grand bonheur des Malouines et Malouins qui ont connu ce prolifique, inclassable et fantasque artiste, décédé il y a tout juste vingt ans. « Depuis que l’exposition a ouvert, on a plein de remerciements, les gens partagent des anecdotes avec nous. »

Il a dessiné pour Dior

Hervé Dubly n’est donc pas tombé dans l’oubli. Il faut dire qu’il ne passait pas inaperçu et qu’il avait fait de son art un spectacle. De Normandie, il était arrivé en 1983 à Saint-Malo, ville où s’étaient fixés ses parents. Grâce à sa mère, qu’il vénérait, il a pu installer son atelier rue de la Fosse, Intra-Muros. Et s’y dédier entièrement à la peinture. Auparavant, il s’était fait un nom à Paris, dans le domaine de la mode. Il a dessiné pour le magazine Vogue, mais aussi pour Yves Saint-Laurent, Christian Dior et Pierre Cardin.

À Saint-Malo, on s’attroupait pour le voir peindre. « Quand j’étais ado et qu’on allait Intra-Muros, on cherchait Dubly », évoque Nathalie Lampérin. Il ne pouvait pas travailler sans danser. « C’étaient des prestations visuelles et sonores », dit Philippe Barthélémy.

Il aimait se mettre en scène. Il avait besoin du regard des gens pour peindre.

Nathalie Lampérin

Ce regard était parfois moqueur, car « maître Dubly » aimait porter des tenues féminines, talons aiguilles compris.

Au-delà de cela, il ne pouvait pas manquer d’intriguer quand il se tenait… dos à son sujet. « Il utilisait un rétroviseur qui lui servait à ‘cadrer’ le paysage. » C’était le cas par exemple pour cette vue de L’Hôtel de la porte Saint-Pierre, prêtée par l’établissement pour l’exposition. « La propriétaire l’avait vu peindre et lui avait dit, ‘je vous l’achète’. Quelque temps plus tard, il a voulu reprendre le tableau car il trouvait que la mouette, en bas à gauche, n’allait pas bien. Elle a refusé. »

Des portraits pour un repas

Des Malouins se souviennent aussi de l’avoir vu, en longue tenue blanche, avec son radio cassette, danser en pleine rue devant une voiture de police. Il avait ses habitudes Intra, mais aussi à Saint-Servan. Au Bœuf gros sel, un restaurant de la rue Amiral Magon, il lui arrivait de croquer un portrait pour le prix de son repas. À l’été 2000, il avait planté son chevalet devant la plage de l’Écluse, à Dinard, durant plusieurs semaines. On la (re) découvre dans cette exposition, avec ses emblématiques tentes rayées mais aussi un énorme bouquet de tournesols, un (bel) homme torse nu et un personnage incongru allongé sur un transat… La toile est à vendre pour 12 000 €.

Ce qui retient l’attention, aussi, ce sont ses autoportraits de styles très variés : silhouettes évocatrices, androgynes ou féminines, visage torturé quasi expressionniste, ou portrait à la Van Gogh. On y décèle un narcissisme certain, mais aussi son « ambiguïté de genre ».

Il s’est marié à lui-même

Le 30 janvier 2005, alors qu’il luttait contre un cancer du poumon, il s’était marié à la cathédrale Saint-Vincent… avec lui-même. Il en avait tiré un double autoportrait sous-titré « l’union parfaite ».

« Des amis m’attendaient à la porte de la cathédrale. L’un avait une casquette de chauffeur. Moi, j’étais habillé comme la reine d’Angleterre. J’ai fait mon voyage de noces en voiture, en longeant la côte entre Saint-Malo et Dinard. Les arbres étaient magnifiques : si j’avais eu ma palette… », avait-il raconté à Ouest-France quelques jours plus tard.

Dans cette même cathédrale, un de ses tableaux, figurant la descente du Christ, est resté longtemps accroché. Une œuvre magistrale, puissante, qui s’y trouvait encore en 2005 à la mort de l’artiste. Philippe Barthélémy, qui a passé un an à rassembler des œuvres pour cette exposition, s’était mis en tête de la retrouver.

Chose faite grâce au curé de l’époque, l’abbé Haudebert, et à celui d’aujourd’hui, l’abbé Lévêque. L’œuvre en question, finalement dénichée au presbytère, avait sans doute été décrochée pour l’exposition rétrospective dédiée à Dubly, organisée par la Ville de Saint-Malo en 2008. « Elle sera réexposée à la cathédrale, m’a promis le curé, rapporte Philippe Barthélémy. Il l’a trouvée sublime… »

L’exposition est à voir jusqu’au début de l’été au café-brocante La Flemme, 51 rue Ville-Pépin, à Saint-Malo (Saint-Servan), du mardi au samedi de 10 h à 20 h 30.

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