Une cinquantaine de délégations conduites par des chefs d’État ou de gouvernement sont attendues à Nice du 9 au 13 juin prochain, pour la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3), coorganisée par la France et le Costa Rica. Dix ans après la signature des Accords de Paris, et alors que de nombreux grands enjeux restent en suspens, de la lutte contre la pollution plastique à la protection de la biodiversité et des grands fonds marins, les observateurs espèrent des engagements forts, au-delà des simples déclarations.
Après un premier sommet au siège de l’ONU à New York en 2017, puis un deuxième à Lisbonne en 2022, c’est donc la France qui verra les responsables politiques internationaux se pencher sur la santé de l’océan, dix après son apparition dans le préambule des Accords de Paris sur les changements climatiques, qui soulignait l’importance « de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans ». Une avancée symbolique majeure, car avant 2015, l’océan était absent des accords climatiques, alors qu’il joue un rôle central dans la régulation du climat mondial, et que bien des indicateurs sont aujourd’hui au rouge.
Mais l’UNOC-3 n’est pas une COP adossée à une convention internationale qui lie et oblige ses signataires, comme les COP sur les changements climatiques ou la biodiversité. « C’est une conférence onusienne qui visait à l’origine à renforcer la mise en œuvre de l’Objectif de Développement Durable n°14 (ODD14) relatif à l’océan », rappelle André Abreu, directeur plaidoyer et coopération internationale de la Fondation Tara Océan, interrogé par Mer et Marine. La première a été organisée en petit comité au siège de l’ONU à New York. La seconde a réuni à Lisbonne une dizaine de chefs d’État.
Une cinquantaine de délégations et trois événements spéciaux
Pour cette troisième Conférence, « nous constatons un changement de dimension », se réjouit auprès de Mer et Marine Loreley Picourt, directrice générale de la Plateforme Océan & Climat (POC) qui, au même titre que la Fondation Tara Océan, bénéficie du statut d’observateur à l’ONU et participe à ses travaux. Ainsi, à l’heure où nous écrivons ces lignes, une cinquantaine de responsables politiques du plus haut niveau sont annoncés, sur les 193 États membres de l’ONU. Autre marqueur de ce changement de dimension : l’organisation de « trois événements spéciaux » qui réunissent une large variété d’acteurs du maritime, dans la semaine qui précède l’ouverture de l’UNOC-3.
Loreley Picourt, directrice générale de la Plateforme Océan & Climat.
Un congrès scientifique, qui regroupera plus de 2000 spécialistes de l’océan sous l’égide de l’Ifremer et du CNRS, et dont l’objectif sera d’adresser « des recommandations concrètes, fondées sur les connaissances scientifiques » aux chefs d’État et de gouvernement. Mais aussi un forum économique (Blue Economy and Finance Forum), organisé à Monaco et destiné à activer massivement des financements principalement privés pour restaurer la santé de l’océan et accélérer la transition vers une « économie bleue durable ». Et enfin une conférence dédiée à la Coalition Ocean Rise & Coastal Resilience, une alliance mondiale des villes et régions côtières confrontées à l’élévation du niveau de la mer, portée par la POC.
Déclaration politique et engagements volontaires
La Conférence sur l’océan de Nice a été « pensée pour être un rendez-vous qui unifie tous les sujets qui concernent l’océan, très dispersés, en raison de sa gouvernance très fragmentée », indique André Abreu. Si aucune convention ne sera adoptée à son issue, les États membres devront se mettre d’accord sur un « plan d’action », baptisé Plan d’Action de Nice pour l’Océan. Il comprend une « déclaration politique officielle, dont les termes ont été négociés en amont et qui sera travaillée durant l’UNOC pour faire émerger des positions fortes sur les grands sujets ». Et une série d’engagements volontaires de la part des États, ONG et entreprises à mettre en œuvre après la Conférence, « avec des positions moins consensuelles, plus percutantes, plus ambitieuses, et plus concrètes ».
« La colonne vertébrale de l’UNOC n’est pas très robuste, c’est précisément ce qui permet de réaffirmer de hautes ambitions, comme Emmanuel Macron l’avait fait lors de l’UNOC de Lisbonne en 2022 sur la question de l’exploitation minière des fonds marins », abonde Loreley Picourt. En mars dernier, à l’occasion du sommet SOS Océan, présenté comme prélude à la Conférence de Nice, le président de la République avait dégagé huit grandes priorités, étroitement liées à la mise en œuvre et à la négociation en cours de plusieurs grands accords internationaux, comme le traité BBNJ pour la haute mer, ratifié à ce stade par 29 parties sur les 60 nécessaires à sa mise en oeuvre, ou le futur traité contre la pollution plastique, dont les négociations sont tendues et pour lequel une session supplémentaire sera organisée début août à Genève.
André Abreu, directeur plaidoyer et coopération internationale de la Fondation Tara Océan.
Il avait également rappelé l’objectif « 30×30 » (30% des zones marines et terrestres protégées à l’horizon 2030), inscrit dans le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal et adopté lors de la COP15 en 2022. Sur cette question sensible des aires marines protégées, pour laquelle la France prône une approche « au cas par cas » s’agissant du chalutage de fond, « nous espérons des annonces significatives au niveau national », reprend André Abreu. « La France se veut et reste perçue comme moteur à l’échelle internationale sur les questions de protection de l’environnement, elle doit se montrer irréprochable sur le plan domestique ».
La non-question américaine
Organisée dix ans après la signature des Accords de Paris et quelques mois avant la COP 30 sur les changements climatiques, qui se déroulera à Belém (Brésil) et où les pays signataires présenteront de nouveaux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Contributions déterminées au niveau national – CDN) pour 2035, la Conférence de Nice constitue un « moment charnière, qui offre l’opportunité de dresser un bilan des progrès accomplis et des écarts à combler pour atteindre les objectifs fixés », estime Loreley Picourt.
Elle se tiendra dans un contexte géopolitique complexe, avec la sortie annoncée des États-Unis des Accords de Paris, qui sera effective en 2026, et plus généralement la remise en cause de leurs engagements multilatéraux. Enverront-ils une délégation officielle à Nice ? Lors d’un briefing avec la presse le 16 mai, Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du président de la République pour l’UNOC, avait indiqué que la présence d’une délégation américaine était toujours incertaine. Mais pour Loreley Picourt comme pour André Abreu, cette question américaine est presque un non-sujet. L’un comme l’autre préfèrent voir l’occasion d’un « sursaut », d’une « opportunité pour les autres pays de réaffirmer leur courage politique et de repositionner leurs pions », et invitent à regarder au-delà des quatre ans de mandat de Donald Trump.
« Peut-être est-ce l’électrochoc dont nous avions besoin pour créer de nouvelles alliances ? », s’interroge Loreley Picourt, qui prône au passage un changement de dimension : « Les coopérations régionales peuvent avoir une véritable incidence sur le global. C’est aussi du multilatéralisme, à plus petite échelle, et avec différentes entités. Pour autant, le multilatéralisme global n’est pas mort », insiste la directrice générale de la Plateforme Océan & Climat.
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