Dans la ville du graffiti, où le tag sauvage est maître en son royaume (façades, toits et métros de préférence), il aura fallu moins de 72 heures pour que poussent dans la nuit de samedi 31 mai au dimanche 1er juin deux testicules violets au bas du phare de Banksy, rue Félix-Frégier (7e). « Le petit malin a attendu que nous allions dormir pour s’y attaquer. On se doutait que ça pouvait arriver mais il fallait bien qu’on se repose. On ne peut pas veiller sur la rue en permanence », reconnaît Richard Campana.
Le nouveau Banksy à Marseille. / Photo PHILIPPE LAURENSON
Le peintre Marseillais est déjà l’auteur de plusieurs fresques dans ce même petit tunnel près de la plage des Catalans et avec Agnès Perronne, peintre en décors du patrimoine, ils forment l’équipe des restaurateurs non officiels du déjà célèbre graff. Sur commande du syndic de copropriété de la résidence adjacente qui souhaitait protéger l’œuvre des dégradations, les artisans avaient déjà posé samedi une couche de vernis anti-graffiti autour du phare, et de la phrase qui l’accompagne « I want to be what you saw in me » (je veux être ce que tu as vu en moi). « Le problème, c’est qu’il en faut quatre, de couches, avec six heures de séchages entre chaque passage. Nous savions que le Banksy attirerait des curieux et pouvait être détourné avant la fin de notre travail », précise Richard Campana. Cela fait déjà plusieurs heures qu’ils travaillent minutieusement avec des lames et grattoirs et ils espèrent achever leur restauration d’ici lundi soir.
Un détournement « vulgaire » ou « audacieux » ?
Le phare au pochoir de Banksy, le renommé street artiste britannique, était apparu sur Marseille en fin de semaine comme un miracle, pour adoucir la peine des supporters de l’OM et distraire les fans de Bruce Springsteen. Vendredi et samedi, des centaines de personnes avaient défilé dans cette petite rue, un tunnel près de la plage des Catalans (7e), pour immortaliser l’œuvre éphémère, pensée pour vivre dans la rue.
Des dizaines de personnes ont assisté ce dimanche 1er juin toute la journée à la restauration de l’œuvre du mystérieux street-artist de Bristol. / Photo Denis THAUST
« L’art de rue est fait pour évoluer avec le temps, mais franchement, y mettre des testicules, de manière aussi vulgaire, ça sert à quoi ? », s’indigne un peu Marie-Ange, 78 ans, qui habite la rue. « Heureusement que j’ai pris des photos hier, pour garder des souvenirs authentiques », se satisfait la retraitée en faisait défiler ses clichés sur son téléphone. « C’est quand même marrant, cette histoire, ça prouve que Marseille est toujours rebelle, provoc. Elles n’étaient pas très bien faites, ces couilles (sic.), mais il faut dire que le geste était audacieux », s’amuse en contre-pied Marius, 34 ans, un voisin.
Un gardien dès dimanche soir et des rondes de police dans le secteur
En plus du vernis, certains riverains très investis plaident pour la pose d’une plaque de plexiglas. Une intervention, qui n’est pas envisagée pour le moment, qui va à l’encontre même de la proposition de Banksy, qui prône la démocratisation de l’art et la réappropriation de ses œuvres dans l’espace public et il a plusieurs fois dénoncé la marchandisation de ses graffs. « En effet, ça nous pose question, mais on nous a demandé de faire de notre mieux pour protéger le dessin, on ne fait que notre métier. J’ai à cœur de restaurer et mettre en valeur le patrimoine, et si Banksy a choisi Marseille, c’est un beau signe que j’ai envie de préserver », commente Agnès Perronne. Plusieurs fans ont aussi dépassé la rubalise devant le phare pour mettre leurs ongles à contribution pour gratter le vernis là où les testicules violets étaient encore dimanche matin.
Pour soulager l’effort collectif, un gardien, placé là aussi par le syndic de copropriété, va prendre son poste ce soir dans le tunnel et la Ville mentionne la « vigilance accrue » de la police municipale qui a fait des rondes dans le secteur. En 2022, la « jeune fille triste » au pochoir de Banksy faite sur la porte du Bataclan à Paris avait été volée et des œuvres de l’artiste sont régulièrement transformées ou dégradées peu après leur apparition.