Par
Adrien Filoche
Publié le
3 juin 2025 à 7h56
Le tunnel semble interminable pour Frédéric. Il y a deux ans, dans la nuit du jeudi 29 au vendredi 30 juin 2023, en marge des émeutes liées à la mort de Nahel, son bar Le Kennedy à Bihorel, près de Rouen, a totalement brûlé. L’incendie n’a rien laissé. Depuis cette soirée fatidique, le commerçant bataille aux côtés de Sylvie, son ex-compagne, pour tenter de survivre. Nous avions relaté leur combat dans nos colonnes en décembre 2023. À cette époque-là, Frédéric visait une réouverture pour fin 2024. Sauf que les travaux ont pris du retard, et son établissement n’a aujourd’hui pas encore retrouvé ses clients. Alors que les factures continuent de tomber, les revenus, eux, restent au point mort.
La longue attente des travaux
Frédéric se rend presque tous les jours sur le chantier pour suivre l’avancée. « Je monte là-haut, pas pour voir si ça avance, mais pour voir si ça n’avance pas », ironise le commerçant. Mais pourquoi tant de retard ? « Il a fallu un an pour obtenir un permis de construire, qui a été refusé trois fois », explique Sylvie, son ex-compagne, qui suit le dossier de très près.
Autre problème : « Il y a aussi des complications avec EDF. On nous a dit que tout le centre commercial n’était plus aux normes. Cela a encore rajouté du délai dans les travaux. »
Fin mai 2025, la miroiterie a finalement été livrée. « À ce rythme-là, le jour où je vais pouvoir rouvrir, je serai à la retraite », lâche le gérant de 61 ans, amer.
En mode survie
Depuis le 30 juin 2024, soit un an jour pour jour après l’incendie, Frédéric ne touche plus aucunes indemnité pour la perte d’exploitation de son commerce. En effet, ces indemnités ne peuvent pas excéder 12 mois en raison de leur contrat d’assurance.
Pour « survivre », le gérant a bénéficié d’une aide du fonds de solidarité à hauteur de 6000 euros, ainsi que l’argent de l’assurance. Mais chaque fois, alors que son commerce est fermé, il doit continuer de s’acquitter de 900 euros de loyer. Pour un bar qui est détruit. S’ajoute à cela le remboursement du PGE (Prêt garanti par l’État) dont il avait bénéficié pendant la crise du Covid, à hauteur de 500 euros.
Au cours de cette période de disette, le commerçant a travaillé pendant quelque temps au bar La Havane. De quoi sécuriser quelques rentrées d’argent, mais aussi de bénéficier de droits au chômage.
Mais l’état de santé de Frédéric s’est dégradé, ce qui a nécessité un arrêt. Ce problème de santé, son ex-compagne l’impute notamment au stress accumulé par la crainte de perdre son commerce. « Il y laisse sa santé, c’est certain », lâche-t-elle.
« Être 14 ans à la tête d’un bar, ça ne donne aucun droit »
Pour laisser passer la tempête, et temporiser jusqu’à la réouverture de l’établissement, Sylvie et Frédéric ont effectué de nombreuses démarches administratives, mais aussi demandé le soutien des élus.
« On a fait une demande pour l’allocation de solidarité spécifique (ASS), mais elle a été refusée », déplore Sylvie. Et d’ajouter : « En tant qu’indépendant, on n’a aucun droit. Être 14 ans à la tête d’un bar, ça ne donne aucun droit, à part celui de payer. »
On est déçu des promesses politiques. Quand le bar a brûlé, il y avait du monde devant le lendemain, pour prendre des photos. Mais depuis, plus rien.
Sylvie
En ultime recours, il espère bénéficier d’une aide de la Région via le prêt arme qui peut octroyer un prêt à taux zéro % sans garantie, d’un montant maximum de 50 000 euros. Mais difficile d’y croire encore, face à l’accumulation de refus et de faux espoirs. L’histoire est d’autant plus rageante que le commerce était en bonne santé avant l’incendie.
Une cagnotte de soutien, « notre dernière solution »
Aujourd’hui, Frédéric arrive à court de solution. S’il décide de rompre le bail commercial, il est censé rendre le local à l’identique. Donc tout reconstruire. « Et si je liquide, je perds tout. Je suis dégoûté », confie le commerçant, piégé.
Fin mai, Sylvie a lancé une cagnotte en ligne. « On arrive à bout de solution. C’est triste d’en arriver à la solidarité citoyenne, mais il n’y a plus de choix. On est les oubliés des émeutes », souffle-t-elle.
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