Le nom commun est un mot étonnant. Pour fonctionner, il est précédé d’un déterminant. » Ceci n’est pas l’introduction d’un cours de français mais une punchline, scandée – avec une précision chirurgicale – sur un instrumental hip-hop. Il est 12h35 entre les murs du collège Jules-Romain, dans le quartier des Moulins à Nice, et Isra, Souleyman, Madona, Alexandra, Riad, Khaled ou encore Yasmin ont déjà avalé leur déjeuner pour rejoindre leur rendez-vous du lundi. Tous et toutes sont les volontaires du club « Att’RAP tes cours » (1) qui se réunit chaque semaine dans la salle ouverte de l’établissement. Objectif: apprendre ses leçons… en les rapant! Une idée insolite qui a récolté, il y a quelques semaines, une Palme académique. Délivrée par le Rectorat, la distinction récompense chaque année des projets pédagogiques innovants de l’Académie de Nice. Celui-ci est signé Yassine Boutahar, professeur de lettres à la ville, alias Yass Sogo, rappeur à la scène.

Le prof fan de Molière et d’IAM

À 39 ans, cet iconoclaste a réuni dans cet atelier, lancé à la rentrée 2023-2024, ses deux passions. « J’avais 10 ans quand des premiers textes m’ont percuté: de littérature, avec Les Fables de La Fontaine, Le Petit Nicolas, des pièces de Molière; et de rap, avec les mots d’IAM, NTM, MC Solar… Mon goût du verbe, il est né comme ça: j’aimais la langue française où qu’elle soit », se souvient-il.

« Tu jettes ta voix loin, OK? 3, 2, 1 et… » Dans son club « Att’RAP tes cours », Yassine est tout à la fois prof, coach et ambianceur. Après avoir lancé la musique, le voilà qui soutient Kayanael, 13 ans, en plein morceau sur ses notions d’arts plastiques: bougeant la tête, reprenant ses fins de phrases en mode MC. « Faites attention: le noir et le blanc sont des valeurs. Si votre inspiration est en captivité, vous pouvez travailler votre créativité », débite la jeune fille, membre la première heure du crew de « Monsieur Boutahar ». « Le rap? J’en écoute beaucoup: , Ninho, Tiakola… Alors, ça m’a tout de suite intéressé. Il y a plein de méthodes pour apprendre ses cours mais celle-là, je la trouve plus facile. En plus, on rigole beaucoup avec nos profs! », s’enthousiasme cette élève de 4e, douée pour l’exercice. Autour de la table, les camarades s’applaudissent après chaque passage, relisent leur texte ou peaufinent le lettrage de leur blaze, ce surnom typique des graffeurs. Sous l’œil bienveillant de Charlotte Tabet, leur enseignante d’arts plastiques: « J’apporte à l’atelier la partie expression artistique, pour travailler sur l’identité visuelle », explique-t-elle, feutre en main.

Un brin discret, Bilal, 13 ans, rejoint l’espace qui fait office de scène: un drap noir tendu face à un téléphone, posé sur un pied. Histoire de s’entraîner à faire comme dans un clip. Puis balance son texte sur les terminaisons au singulier et au pluriel en italien.

« Le but, c’est que ça rentre dans la tête »

Yassine l’aide à ciseler tout ça, fait refaire. « Le but, c’est que ça rentre dans la tête. On est tous pétri de chansons qu’on peut réciter par cœur. La dernière fois, en cours, une élève de l’atelier m’a ressorti cette punchline: si je peux dire mordu, c’est que c’est ‘e’accent aigu. J’ai été bluffé de voir comment ça fonctionne! », sourit le prof, qui veut redorer l’image du rap auprès du plus grand nombre. Lui qui a même consacré à cette mission une pièce de théâtre qu’il joue sur les scènes du coin. « C’est un genre aussi noble que la littérature », plaide le gaillard, aussi complice que cadrant avec la relève. « Att’RAP tes cours, c’est pour apprendre et aussi collaborer », résume très bien Johnylson, 12 ans, qui signe « Zéro, y a pas de zéro ». « Une chanson en rapport avec les notes pour donner aux élèves du courage. Et leur dire que la vie, c’est pas rester devant la Play toute la journée », glisse l’élève de 6e.

Labellisé Cités éducatives, dispositif subventionné par l’État pour renforcer l’accompagnement des jeunes en quartiers prioritaires, le projet espère inspirer. D’ici décembre, il mettra de la couleur sur les murs du collège des Moulins avec la réalisation d’une fresque graffée. Dessus? Une punchline, bien sûr: « L’école, c’est pas un clash., C’est un feat avec l’avenir ». CQFD.

(1) à écouter sur Attraptescours.fr