Par
Inès Cussac
Publié le
10 avr. 2025 à 6h18
« C’est presque l’été, il faut en profiter ! » Sourire sur les lèvres avant d’enfiler une gorgée de bière, Felipe sort tout juste du travail. Il attend ses amis qui, comme lui, comptent bien tirer profit des chaleureux rayons du soleil. En ce début du mois d’avril 2025, il fait beau à Paris, mais cela ne devrait pas durer. « Il doit pleuvoir la semaine prochaine, donc il faut vraiment savourer maintenant », précise le trentenaire à la barbe fournie installé sur l’une des terrasses estivales de la rue Marie et Louise, dans le 10e arrondissement.
Depuis le 1er avril, et jusqu’au 31 octobre 2025, les terrasses des bistrots parisiens se sont rallongées. De quoi réjouir les badauds sirotant l’apéro et les restaurateurs renflouant les caisses. Mais cela a aussi le don d’agacer les voisins, excédés par les nuisances sonores qui émanent de ces tablées la nuit tombée. « Le soir à 22h, les gens sont plus alcoolisés et ne se rendent pas compte du bruit qu’ils font. 22h c’est aussi l’heure à laquelle vont se coucher ceux qui habitent au-dessus », illustre Hélène Falloux du collectif Droit au sommeil.
4 500 terrasses estivales en 2025
Au printemps, comme chaque année depuis cinq ans, la joute reprend entre les Parisiens au sujet des terrasses estivales. Certains en raffolent, mais d’autres s’y opposent fermement. En cette année 2025, la Ville de Paris en a répertorié 4 500 qui viendront s’étendre sur les trottoirs ou les places de stationnement.
Elles avaient été instaurées au lendemain de la crise sanitaire afin de combler les déficits des professionnels de la restauration avant de finalement revenir annuellement dans un contexte économique toujours compliqué pour la profession. « C’était entendable au moment du Covid-19, reconnaît Hélène Falloux. Mais, on ne peut pas éternellement donner plus de trottoirs pour sauver une profession. » Et la militante de fustiger : « C’est une profession qui a l’habitude de beaucoup pleurer […]. Ces terrasses sont un plus, certes. Mais il ne peut pas être le principal d’une activité. Ce n’est pas sain. » Selon les chiffres de l’Umih Île-de-France, ces installations rapportent en moyenne jusqu’à 30 % de chiffre d’affaires en plus aux restaurateurs.
La pérennisation du dispositif a en outre fait l’objet d’une étude par la Cour des comptes qui a publié son rapport en janvier dernier. Elle reconnaît la « grande complexité » d’une telle refonte du règlement mais pointe aussi du doigt plusieurs défauts, dont celui du « partage harmonieux de l’espace public entre les différents usagers ».
Il y a des quartiers qui se spécialisent dans les terrasses. Certains coins sont saturés.
Hélène Falloux
Membre du collectif Droit au sommeil
Ces dernières années, plusieurs collectifs se sont d’ailleurs créés pour faire entendre la voix des riverains mécontents des nuisances sonores nocturnes qu’engendrent ces terrasses. Sur les réseaux sociaux aussi, des vidéos parfois virales circulent pour dénoncer la transformation des rues en « continuum de terrasses ».
Les autorisations accordées aux restaurateurs sont reconduites tacitement chaque année. Il est en revanche plus difficile de se voir accorder sa première demande. Comme le rappelle la Ville de Paris, seules 83 demandes ont été accordées sur les 306 demandes effectuées pour 2025. En outre, depuis 2021, plus de 20 000 demandes ont été instruites par l’Hôtel de Ville.
Mieux associer les riverains
Le collectif Droit au sommeil alerte, d’une part, sur le nombre pléthorique de ces installations. D’autre part, il fulmine de voir des places de stationnement laissées aux restaurants. « On nous dit que Paris est plus calme, qu’il y a moins de voitures… Mais une terrasse, cela peut monter jusqu’à 75 décibels, c’est le niveau du trafic routier », souligne Hélène qui préférerait voir des parterres de fleur et de végétation à la place de ces terrasses.
Dans son rapport, la Cour des comptes recommandait d’ailleurs une meilleure association des riverains aux réunions des commissions de régulation des débits de boissons. Le dispositif se met doucement en place. « Les mairies ne s’emparent pas assez du souci », selon Hélène Falloux tout de même satisfaite de voir des Comité Locaux Bruit s’organiser dans les 17e, 10e, 6e ou encore 5e arrondissements de Paris.
A travers ces réunions de concertation entre les habitants et les commerçants, et en s’appuyant sur les procès-verbaux de la police municipale, les mairies pourront signaler les établissements posant problème. In fine, un réexamen périodique des autorisations pourront être effectuées. « Toutefois, nous veillons à ne pas complexifier inutilement les démarches des commerçants », ajoute la Ville de Paris.
Une bonne chose pour Hélène Falloux qui suggère aussi d’élargir les dimensions d’accessibilités à 2 mètres. Aujourd’hui, les restaurants et bistrots sont tenus de maintenir un passage libre d’au moins 1,60 mètre de large pour laisser les piétons circuler. En revanche, le point sur lequel le collectif Droit au sommeil ne compte pas lâcher du lest concerne les horaires. L’été dernier, la Ville avait donné la permission de minuit aux restaurateurs pour qu’ils puissent profiter de l’effervescence des JO. La mesure avait bien failli se pérenniser avant la levée de boucliers des collectifs. « Notre ligne rouge, c’est 22h », se défend Hélène Falloux, fermement opposée au « lobby bistrotier ».
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