Les agents de sécurité, présents 24 h/24 et sept jours sur sept, ont accompagné Julie (*) jusqu’à l’ascenseur. La mère de famille rejoint le 7e étage de l’immeuble implanté boulevard Vincent-Gâche, à Nantes. Ses deux enfants, âgés de 6 et 8 ans, ont vite repéré la salle de jeu. Julie sera libre de parler, à cœur ouvert, avec l’une des douze coordinatrices de parcours de Citad’Elles.
« Sans arrêt en hypervigilance »
La jeune femme explique « avoir besoin de remettre les cases à leur place, psychologiquement et juridiquement, pour avoir des billes pour avancer ». Elle a rompu avec son compagnon, en juin 2024, après une « bousculade » qui lui a valu 15 jours d’ITT. Avant ça, il y avait eu une relation de dix ans marquée par des violences psychologiques. Elle se revoit, « sans arrêt en hypervigilance, toujours à se contorsionner pour faire face aux humeurs de monsieur ». Même si elle dit commencer à prendre du recul, « c’est toujours assez frais. Je suis encore sous son emprise. J’ai failli retourner auprès de lui, il y a deux semaines… ».
2,3 M€ de fonctionnement
Sous l’impulsion de Johanna Rolland, élue maire de Nantes en 2014, des groupes de travail ont planché sur un « centre idéal ». Ses contours ? Un lieu ouvert 24 h/24 et sept jours sur sept, à la fois sécurisé et accessible pour les victimes, qui permette la confidentialité, qui soit spécifiquement aménagé, pluridisciplinaire, et qui prenne en charge les femmes, mais aussi leurs enfants. Depuis cinq ans, Citad’Elles, service de la Ville de Nantes, coche toutes ces cases, avec un budget de fonctionnement de 2,3 millions d’euros. La municipalité reste financeuse majoritaire en abondant plus d’un million d’euros. « Ensuite, il y a la métropole (500 000 euros), le département et l’État (200 000 euros chacun), arrivé en 2021, puis la Caf et l’ARS », détaille Caroline Godard, sa directrice.
Trois appartements, sous secret d’adresse
La durée moyenne des séjours au sein de Citad’Elles est de sept nuitées. Parmi les 80 % de femmes qui viennent pour des violences conjugales, certaines requièrent, en raison d’un danger grave et immédiat, une mise en sécurité. Elle prend alors la forme de trois appartements, sous secret d’adresse. « Nous avons aussi ouvert une maison temporaire qui permet à trois femmes de vivre en colocation pendant un an maximum, en attendant un hébergement plus pérenne. Le logement, c’est le levier. Or, aujourd’hui, le contingent préfectoral, c’est huit à dix mois d’attente. »
Mettre des bâtons dans les roues du système prostitutionnel
La clé, moins visible, de Citad’elles, c’est le volet accompagnement. Il a été renforcé « car les femmes ont besoin de rencontrer les coordinatrices de parcours de façon régulière ». Citad’Elles cumule plusieurs fonctions spécialisées. L’assistance socio-éducative assure un soutien à la parentalité. Un psychiatre fait des évaluations, évite les ruptures de soins et fait des réunions avec l’équipe. Un poste de chargée de projet « accès au droit hébergement logement et droits des étrangères » a été créé, en janvier 2022, pour mettre des bâtons dans les roues du système prostitutionnel. Enfin, une sage-femme travaille sur la santé globale, mais aussi sexuelle, des femmes.
« Nous laissons la porte ouverte »
Citad’Elles a fêté son cinquième anniversaire et voit se dessiner des premiers parcours de reconstruction. L’équipe se garde de tout satisfecit. « À force d’accompagner des femmes, on pourrait avoir tendance à surinterpréter. Il faut se garder de cela. Le but n’est surtout pas de recréer une emprise. Il faut aller au rythme de la femme », indique Marie, coordinatrice de parcours. Caroline Godard abonde : « Certaines sont venues en 2020, puis en 2022 et ce n’est qu’en 2024 qu’elles ont amorcé leur parcours. Nous laissons la porte ouverte. La temporalité des femmes, ce n’est pas celle des professionnels ».