Par

Antoine Blanchet

Publié le

9 avr. 2025 à 20h00

Raconter sa douleur devant la cour d’assises est une épreuve olympique. Ce mercredi 9 avril 2025, avant de plonger dans ses douloureux souvenirs, Hossni souffle un grand coup. Sa respiration veut faire barrage aux sanglots agglutinés dans sa gorge. Ses mains serrent le texte écrit pour cet instant. « Pour tout vous dire, j’attendais depuis 15 ans le moment où je croiserais le regard de celui qui a détruit toute une famille », lâche-t-il en guise de préambule. À quelques pas, dans le box vitré, Wael M. regarde le sol. Sur le banc des parties civiles, on pleure doucement.

Depuis lundi, la cour d’assises de Paris fait office d’oasis pour une famille assoiffée de justice. Pendant 15 ans, les proches d’Eslam ont désespéré de voir le jour où Wael M. ferait son apparition devant un juge. Il est accusé d’avoir assassiné en 2010 son ex-femme Eslam. La victime avait été lardée de coups de couteau dans l’ascenseur de son immeuble. Après une longue cavale, le suspect a été interpellé quasi-miraculeusement dans une petite ville d’Argentine en 2021.

« C’était une personne généreuse »

Si le temps efface les souvenirs, celui d’Eslam est toujours vivace 15 ans après. À tour de rôle, les proches meurtris peignent à la barre le portrait lumineux de la jeune femme. « Depuis sa naissance, tout le monde l’aimait. Les hommes, les femmes, les enfants », affirme la mère. « C’était une personne généreuse. Elle incarnait la joie de vivre », rajoute le frère. Les anecdotes de jeunesse, nappées de rires, de disputes, de réconciliations, fusent. La voix s’étrangle. « Désolé. Ce sont les meilleurs souvenirs que j’ai », s’excuse le témoin.

À l’inverse, les termes pour désigner l’accusé sont imbibés de vitriol. Ce n’est plus un homme. C’est « lui », « ce monsieur ». La victime l’avait rencontré en 2009 lors d’un séjour dans sa famille en Tunisie. Wael M. est riche et puissant. Au frère d’Eslam, il fait bombance de ses accointances avec le régime corrompu de Zine el-Abidine Ben Ali : « Devant un commissariat, il parlait avec les policiers et m’a montré un avis de recherche avec sa photo à l’intérieur », relate le frère de la victime.

« Elle m’a suppliée de la prendre avec elle »

Dans la bouche des parties civiles, la voix se fait de plus en plus amère lorsque l’on évoque le mariage désastreux d’Eslam. La jeune femme qui se voyait ouvrir une boutique de vêtements de luxe à Tunis, est frappée, droguée, violée. « En février 2010, je suis allé la voir. Elle m’a suppliée de la prendre avec elle », raconte sa mère. Après une folle course-poursuite en voiture avec l’accusé, elle parviendra à mettre sa fille dans un bateau direction la France. « Elle a embrassé le sol quand elle est arrivée », se souvient le témoin.

Mais au printemps 2010, tout s’effondre. Depuis des mois, Wael M envoyait de terrifiants messages de menace à la famille. Le 10 juin, il frappe. Ce soir-là, Eslam sortait avec des amis. Elle avait proposé à son frère de les rejoindre. « Je lui ai dit que j’étais occupé », soupire Hosni. En rentrant chez elle, la jeune femme est attaquée dans l’ascenseur par son ex-mari. Il la tue d’une quinzaine de coups de couteau. « P… », lâche le frère à l’évocation de ce massacre.

Une famille traumatisée

Après ce drame, tout explose. « Elle est partie en emportant avec elle tout le bonheur et l’espoir de la famille », soupire son frère. Dans un premier temps, le déni frappe cet homme de 37 ans. « J’ai pensé qu’elle avait simulé sa mort et qu’elle se cachait pour nous protéger. Alors que c’est moi qui l’ai mise sous terre ».

Le traumatisme est encore vivace chez les proches d’Eslam. « Ça nous empêche de faire quoi que ce soit. D’avoir confiance aux autres. D’avoir des enfants », continue le frère de la victime. « Tout le monde pense que je suis forte, mais je suis faible. J’ai mal à la tête tout le temps. Je me demande pourquoi il a fait ça », pleure sa mère.

Bataille pour la justice

À la souffrance s’ajoute l’impuissance. Pendant des années, les proches d’Eslam se sont battus contre des moulins à vent pour retrouver Wael M.. En Tunisie, la mère force les portes des journalistes et des juges pour retrouver la trace de l’accusé. En vain. Il faut un premier miracle en 2017. Un échange de Me Aurélien Aucher avec une consœur tunisienne lui permet de localiser l’assassin présumé au Brésil via un article de presse. « J’ai foncé à l’ambassade à Paris. On a écrit à la ministre de la Justice brésilienne », se remémore le frère. Sa voix devient fébrile à l’évocation de cette traque où les années sont marquées par des bouffées d’espoir.

Malgré la demande d’extradition, Wael M. parvient à quitter le Brésil. Il est interpellé en 2021 dans une petite ville d’Argentine. « C’est le chauffeur de taxi qui l’a signalé à la police qui nous a contactés sur les réseaux sociaux », rembobine Hossni. Nouvelle demande d’extradition, et nouvelles craintes du frère : « on avait peur qu’il s’échappe à nouveau ».

Aujourd’hui, l’accusé est dans son box. Il encourt la perpétuité. « Nous sommes une famille qui ne demande qu’à faire son deuil. Prenez conscience de son acte », déclare Hossni, le regard porté sur le jury. L’audience est prévue pour durer jusqu’à vendredi.

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