Le National Health Service (NHS), autrefois modèle d’universalité des soins, traverse une crise structurelle sans précédent.

Alors que le Royaume-Uni célèbre cette année les 77 ans de son système public de santé, le NHS est aujourd’hui à la croisée des chemins, menacé d’effondrement sous réserve d’une réforme d’ampleur. Hôpitaux saturés, délais d’attente interminable, personnel démoralisé et exode des soignants, les symptômes de la crise sont nombreux et préoccupants. De fait, en décembre 2024, la satisfaction du public envers le NHS a chuté à 21%, contre 70% en 2010, un effondrement spectaculaire qui témoigne de l’ampleur de la crise. Les listes d’attente atteignent désormais 7,4 millions de patients, soit deux fois plus qu’avant la pandémie de Covid-19 selon NHS England, transformant un système qui faisait jadis la fierté de la Grande-Bretagne en un symbole de ses dysfonctionnements.

Un système à bout de souffle

Cette déroute ne s’est pas opérée du jour au lendemain. Le médian d’attente pour débuter un traitement atteint aujourd’hui 13,8 semaines, contre 6,9 semaines en mars 2019, selon les données officielles de la House of Commons Library. Plus alarmant encore, 39,8% des patients ont attendu plus de quatre heures aux urgences en avril 2025, quand le gouvernement s’était fixé pour objectif de descendre ce taux à 28%. Wes Streeting, ministre travailliste de la Santé, qualifie le service de «cassé». Son diagnostic, confirmé par l’enquête indépendante du Lord Darzi, chirurgien, chercheur et membre de la Chambre des lords, pointe une décennie de sous-investissement de la part des conservateurs qui a étranglé le système. Les hôpitaux croulent sous les équipements vétustes, le personnel épuisé multiplie les grèves, et les patients médicalement aptes à sortir occupent en moyenne 14 087 lits par jour faute de places en soins de proximité, selon les dernières statistiques de NHS England.

L’ambition numérique de la renaissance

Face à cette situation catastrophique, le gouvernement Starmer mise tout sur une révolution numérique. Wes Streeting prône une transformation «de l’analogique au numérique, de l’hôpital à la communauté, de la maladie à la prévention». Son plan décennal, attendu au printemps 2025, promet d’exploiter l’intelligence artificielle pour libérer les soignants de tâches administratives et améliorer les diagnostics. L’IA peut déjà «diagnostiquer les cancers avec la même précision que l’œil humain» et pourrait considérablement dégager du temps pour les cliniciens, selon Streeting. Un «passeport numérique du patient» unique, accessible via l’application NHS, centralisera toutes les données de santé, une approche qui rappelle les ambitions françaises autour du «dossier médical partagé». Mais cette modernisation a un coût : 15 milliards de livres sur cinq ans rien que pour l’Angleterre, soit près de 7% du budget annuel du NHS, estime la Health Foundation.

Les écueils du passé persistent

L’histoire récente du NHS regorge de promesses non tenues. Huit plans à long terme se sont succédé ces 25 dernières années sans régler les problèmes structurels, selon The Economist. Les réformes butent toujours sur les mêmes obstacles : la tentation du court-termisme politique, la centralisation excessive et l’insuffisance chronique des financements. Wes Streeting veut «quelqu’un qui fasse du bruit sur les temps d’attente pour une victoire politique», révélant combien la pression électorale peut détourner des réformes de fond. Le recours massif au secteur privé – le marché privé de la cataracte a bondi de 400% depuis 2019 selon les données gouvernementales – risque de drainer ressources financières et humaines du service public.

Quelles leçons pour la France ?

Cette débâcle britannique offre un miroir inquiétant à la France. Notre système, régulièrement classé parmi les meilleurs mondiaux, présente des similitudes troublantes avec le NHS d’avant-crise. La France consacre 11% de son PIB à la santé et affiche l’un des taux de reste à charge les plus faibles d’Europe à 9,2%, mais ces performances masquent des faiblesses croissantes. Les tensions sur les urgences françaises, les difficultés d’accès aux médecins généralistes et les inégalités territoriales rappellent les prémices de la crise britannique. En matière de santé mentale notamment, les délais d’attente français restent huit fois supérieurs à ceux des soins physiques, un différentiel qui évoque les dysfonctionnements outre-Manche. La France tirera-t-elle des leçons de cette crise, en maintenant l’investissement public, en résistant aux sirènes de la privatisation et en évitant le piège du court-termisme politique? La digitalisation, que prône le ministre de la Santé britannique, ne saurait remplacer un financement pérenne et une vision à long terme.