DÉCRYPTAGE – Stéphane Bern, Philippe Bélaval, Bertrand Lemoine, Hervé Lemoine ou Jérôme Clément… Plusieurs prétendants, dont certains très proches, postulent au fauteuil d’Hugues Gall, décédé en 2024. En campagne, chacun fait valoir ses atouts avant l’élection le 11 juin.

Stéphane Bern académicien ? Il en rêve, avec raison. Candidat à l’Académie des beaux-arts sur le fauteuil de l’ancien président de Giverny, Hugues Gall, décédé l’année dernière, l’animateur a démarré une campagne aussi discrète qu’efficace. Lettre personnalisée à chacun des 63 académiciens, déjeuner avec le secrétaire perpétuel, Laurent Petitgirard, coups de fil sondant les équilibres. L’animateur-producteur et ami des têtes couronnées met toutes les chances de son côté.

Célébrité cathodique, donnant sans compter pour le patrimoine, propriétaire du collège de Thiron-Gardais dans l’Eure, qu’il restaure minutieusement, l’homme a des arguments. Depuis neuf ans, sa fondation octroie des prix recherchés pour l’histoire et le patrimoine, remis dans la grande salle des séances de l’Institut de France, inaugurée en 1846. À chaque fois, l’assemblée est brillante et démontre la puissance de feu de Bern. À ses côtés, sur l’estrade, le chancelier, Xavier Darcos, qui préside chaque année la cérémonie, et Brigitte Macron, une fidèle de Bern et du prix. À leurs pieds, académiciens, ministres, ambassadeurs, ducs et princesses côtoient historiens et associations de sauvegarde du patrimoine. Le mélange est à l’image de Bern, et lui donnait des ailes lors de la dernière édition du prix, le 20 mai dernier. « Je n’ai pas besoin de me présenter », glissait-il en forme de boutade. À lui le bicorne, le costume brodé et l’épée d’académicien !

« Il part favori », calcule aujourd’hui un de ses amis, au doigt mouillé. Mais rien n’est assuré pour cette élection qui se tiendra le 11 juin. Stéphane Bern n’est pas le seul à désirer ardemment le fauteuil d’Hugues Gall. Selon nos informations, l’architecte et ingénieur Bertrand Lemoine, le président des manufactures de France (Mobilier national et Manufacture de Sèvres), Hervé Lemoine, l’ancien conseiller culture d’Emmanuel Macron Philippe Bélaval et l’ancien président d’Arte Jérôme Clément seraient aussi sur les rangs, ainsi qu’une ou plusieurs femmes, dont les noms n’ont pas émergé dans le Tout-Paris.

Des rivaux en lice

Trois au moins d’entre eux – Philippe Bélaval, Hervé Lemoine et Stéphane Bern – sont des proches et se sont croisés mille fois dans le cadre professionnel. Auteur de plusieurs ouvrages, ancien directeur des Archives de France, de l’Opéra de Paris, puis président du Centre des monuments nationaux, ayant tout juste quitté l’Élysée, Philippe Bélaval, 69 ans passe pour un érudit. Il a vu passer tout ce qui compte dans le domaine de la culture dans son bureau élyséen, dont Stéphane Bern, nommé « M. Patrimoine » par Emmanuel Macron.

À 63 ans, la longévité d’Hervé Lemoine, archiviste et conservateur, parle aussi pour lui. Après avoir dirigé les Archives de France, il vient de réussir à rassembler deux manufactures anciennes (le Mobilier national et la Manufacture de Sèvres) sous une même bannière. Il a justement confié le commissariat de la nouvelle exposition du Mobilier national sur le sacre de Charles X à Stéphane Bern. Sur les réseaux sociaux, on voit régulièrement Lemoine poser avec la première dame, pour qui il a révolutionné la décoration à l’Élysée. Homme de goût, Hervé Lemoine porterait le design et l’art du mobilier au sein de l’académie.

Rivaux, les trois se sont appelés pour se dire mutuellement pourquoi ils ne se désisteraient pas. Publiquement, chacun garde un silence prudent et conserve par-devers lui les souvenirs des coups de pouce donnés à ses concurrents, ou les inévitables petits manquements subis par le passé. Inutile d’en faire état à haute voix, puisque le sort de tous est désormais entre les mains des 63 académiciens.

Une guerre pour un fauteuil

Le 11 juin, ils se réuniront en conclave dans la salle des Séances. « Il sera interdit de parler de l’élection à ce moment. Nous ne ferons que voter », prévient Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel. Les derniers pronostics, s’il y en a, devront se faire dans la salle des Colonnes, bien surnommée la « salle des Conversations ».

En premier lieu, le secrétaire rendra public son propre classement. Puis un vote à bulletins secrets cherchera une majorité (la moitié des voix plus une). Stéphane Bern n’aura pas que des fans dans cette assemblée distinguée. « Sommes-nous là pour ajouter de la célébrité à la célébrité ? La question se pose », s’interroge un académicien, certes moins en vue sur le petit écran. À cette aune, l’architecte et ingénieur Bertrand Lemoine, qui a dirigé les ateliers du Grand Paris, a été commissaire d’exposition et est un écrivain prolifique, a toutes ses chances.

Je regrette la publicité faite autour de cette élection, ce qui n’est pas dans les usages de l’Académie des beaux-arts. En revanche, je remarque que l’académie attire et sait susciter des candidatures solides

Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts

Doté d’une personnalité positive et énergique, chef d’orchestre à la ville, Laurent Petitgirard s’abstient aujourd’hui de tout commentaire. Des guerres pour un fauteuil, l’académie en a déjà connu dans sa longue histoire – même Eugène Delacroix a d’abord été refusé plusieurs fois avant de réussir –, et Laurent Petitgirard sait bien que le 11 juin ne fera qu’un heureux. Au téléphone, alors qu’il s’apprête à rentrer de Chine, il préfère voir plus loin. « Je regrette la publicité faite autour de cette élection, ce qui n’est pas dans les usages de l’Académie des beaux-arts. En revanche, je remarque que l’académie attire et sait susciter des candidatures solides », dit-il.

Une Académie qui se réveille

Il n’y a pas si longtemps, elle était surnommée « sleeping beauty » et avait la réputation d’être un bâton de maréchal pour des hommes d’âge mûr. Les propriétés prestigieuses de l’académie, arrivées par dons ou par legs, vivotaient, de l’avis de tous. Dans leur fauteuil, chacun se rappelait les grands moments de cette instance créée en 1648, comme pour mieux excuser son absence d’avenir. Au point que ce cercle semblait moribond aux yeux de nombre d’artistes ou d’architectes.

Mais, assurent plusieurs académiciens, Laurent Petitgirard a réveillé la belle. Si ce dernier ne « croit pas à la parité appliquée de manière mathématique », il a fait largement entrer les femmes sous la Coupole. La chorégraphe Blanca Li, la réalisatrice Coline Serreau, l’architecte Anne Démians, l’artiste Eva Jospin, l’auteur de bande dessinée Catherine Meurice ainsi que 12 autres siègent désormais en habit vert auprès de leurs homologues masculins.

Un nouveau système de visioconférence a mis un terme à l’absentéisme lors des séances hebdomadaires du mercredi, où les 63 membres, répartis dans 9 sections, se réunissent pour parler art et culture. « On y discute, et c’est assez stimulant », assure un académicien. Dans les couloirs, des artistes ou architectes, parfois concurrents à la ville, se parlent, des disciplines se croisent. Si l’académie demeure un réseau, elle n’est plus autant dans l’entre-soi que par le passé. Située sous la protection du président de la République, elle sait parfois même aller contre lui. Elle s’est prononcée pour une réforme du passe culture, mesure phare présidentielle, et a publié un communiqué cinglant sur le projet de vitraux contemporain pour Notre-Dame de Paris, autre sujet de prédilection du président.

Un pied dans la transmission, un autre dans la tradition

La maison s’est de surcroît attaquée à la restauration de son propre patrimoine, en lançant une série de travaux, estimée à 100 millions d’euros sur plusieurs années. Grâce à cela, la Villa Ephrussi (06), l’appartement d’Auguste Perret, la maison-atelier de Lurçat, à Paris, ou la villa et la bibliothèque Marmottan à Boulogne-Billancourt ont ou vont redresser la tête. Ces lieux accueillent désormais des artistes en résidence, comme à la Villa Dufraine (95), dirigée par l’académicien et sculpteur Jean-Michel Othoniel. « Le soutien aux jeunes artistes, sous forme de résidences ou de prix est un des rôles qui plaît le plus à nos membres », assure le secrétaire perpétuel.

Dans les milieux artistiques, certains n’aiment pas ce faste, qu’ils jugent dépassé, c’est évident

Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts

Un pied dans la transmission, un autre dans la tradition. Quatre siècles après sa création, l’académie en demeure pétrie, ce qui fait son charme ou rebute, c’est selon. « Dans les milieux artistiques, certains n’aiment pas ce faste, qu’ils jugent dépassé, c’est évident », admet Laurent Petitgirard. Le collectif, la Coupole et l’apparat assurent, à tout le moins, de la solennité et une continuité dans les usages.

Le 11 juin, dès le résultat du vote annoncé à voix haute par le secrétaire perpétuel, le successeur d’Hugues Gall devra, par exemple, se faire faire un habit sur mesure. Son prix tourne autour de 70.000 euros – une somme folle. Par chance, un « vestiaire des veuves », petite pièce où sont déposés les costumes des académiciens décédés, existe pour les plus impécunieux. On fait alors retailler la veste et le pantalon, avec la promesse de le rendre à la famille, lorsque l’on ne sera soi-même plus de ce monde. L’affaire est courante et admise – même si personne ne se vante publiquement d’habiter le costume d’un autre. Reste le bicorne, dont l’ancien chancelier Gabriel de Broglie possédait un des derniers modèles à claque. On ne sait si le nouvel entrant choisira d’en porter un, tant son usage tend à disparaître.

Ce qui est sûr, c’est qu’il portera une épée, sans laquelle il n’y a pas d’académiciens. Symbolisant le combat pacifique pour les arts, elle doit incarner dans son esthétique la personnalité de celui qui la porte. Si celle de Jean Cocteau, ornée d’une émeraude offerte par Coco Chanel, avait été fabriquée par Cartier, celle du chorégraphe Angelin Preljocaj, qui a rejoint la Coupole cette année, est une épée musicale en bâton de pluie, imaginée par la designer Constance Guisset. Objet d’art, ces épées coûteuses s’appuient en général sur un cercle de donateurs. Qu’il s’agisse de Stéphane Bern, d’Hervé Lemoine, de Philippe Bélaval, de Bertrand Lemoine, de Jérôme Clément ou de prétendantes mystères, le nouvel élu devra alors rallier des personnalités bienveillantes chargées de financer l’accessoire solennel.