L’affaire a fait les gros titres de la presse quotidienne régionale et nationale. Comme le révélait Le Télégramme le 31 mai, les propriétaires d’une maison de 90 m² au 148, rue de Châteaugiron, dans le sud de Rennes, avaient accepté l’offre de rachat d’1,18 M€ d’un promoteur immobilier. Sauf que la Ville de Rennes a exercé son droit de préemption pour acquérir le bien en priorité contre une somme de… 526 500 €. Le motif : la collectivité en a un besoin pour construire, à la place, des logements sociaux.

L’épisode illustre la densification urbaine qui s’opère à Rennes depuis plusieurs années. Et plus particulièrement dans cette rue de Châteaugiron. Dans cette pénétrante, qui relie Chantepie au centre-ville de la capitale bretonne, pas moins de cinq projets immobiliers sont en cours de construction. Sans compter ceux déjà livrés. Leurs noms ? « Le Green » (46 logements en R + 8), « L’Esplanade » (110 logements en R + 7), « Parc Saint-Michel » (98 logements en R + 10), « Paloma » (45 logements en R + 7) et « Ekla » (46 logements en R + 7). Ici, les artisans ne chôment pas et sont en train de transformer la physionomie de cette rue.

Reconstruire la ville « sur elle-même »

Certains de ces programmes immobiliers, comme L’Esplanade, sont issus de la création de Zac (Zones d’aménagement concertée), celle du Haut-Sancé en l’occurrence. Pour les autres, les promoteurs ont racheté des pavillons pour en faire des immeubles. L’objectif de la municipalité ? Faire en sorte que la métropole puisse accueillir 100 000 habitants supplémentaires à l’horizon 2040.

Pour cela, Rennes métropole s’est donné pour objectif, dans le Programme local de l’habitat 2023-2028, de construire 1 700 logements par an en moyenne sur la seule ville de Rennes. Et a un mantra pour y arriver : « la reconstruction de la ville sur elle-même ». C’est-à-dire construire de nouveaux logements pour « répondre à l’urgence sociale », mais « sans étaler ». Car avec l’objectif « Zéro artificialisation nette » (Zan), votée dans le cadre de la loi Climat-résilience en 2021, les communes vont devoir, chaque décennie, diviser par deux leur rythme d’extension urbaine, jusqu’à atteindre le zéro à partir de 2050. Avec cet objectif de sobriété foncière, le PLH de la Métropole prévoit que 10 % de la production annuelle devra être réalisée à partir du parc bâti existant.

« J’avais des annonces de promoteurs dans ma boîte aux lettres toutes les semaines »

Dans cette optique, les pénétrantes de la ville, comme la rue de Châteaugiron, sont visées par cette grande « densification ». Le Plan local d’urbanisme, depuis sa révision en 2019, permet désormais d’y construire en hauteur. Résultat : les promoteurs se pressent pour racheter les terrains, détruire les habitations existantes et ériger, à la place, des immeubles.

Ici, de nombreux bâtiments ont déjà poussé à la place des pavillons. Pharmacienne à la retraite, Jeannine a vu le quartier se transformer au fil des ans. « Les sept maisons en face de chez moi ont toutes disparu pour laisser la place à des immeubles. » Sa maison, ainsi que celles de ses voisins, a longtemps suscité l’intérêt des promoteurs. « Jusqu’en 2020 et la covid, j’avais des annonces de promoteurs dans ma boîte aux lettres toutes les semaines. Et ils venaient toquer à ma porte ».

Ni nous, ni nos voisins ne souhaitons partir, mais on voit bien que les maisons sont rachetées les unes après les autres. On ne retrouvera pas une maison comme celle-ci à Rennes, ou alors à des prix exorbitants

« On veut résister à cette pression », ajoute Martine, qui habite plus loin dans la rue, en direction de Chantepie. Elle aussi a été très sollicitée par les promoteurs. « Ni nous, ni nos voisins ne souhaitons partir, mais on voit bien que les maisons sont rachetées les unes après les autres. On ne retrouvera pas une maison comme celle-ci à Rennes, ou alors à des prix exorbitants. » Ce qui les fait rester ? Son emplacement, « entre le centre-ville et la rocade. On est proche de tout sans être dans le centre ». Selon elle, « Rennes perd son âme avec tous ces immeubles. Elle est en train d’être dénaturée. »

« Il y a un besoin de logements à Rennes »

Arrivés en colocation dans une maison il y a un an, Emma et Corentin, jeunes actifs, ont aussi été attirés par la possibilité de vivre en maison à Rennes. « On se plaît bien, il y a du terrain, une petite terrasse, le parc à côté, tout en étant en ville avec les bus et la piste cyclable. » Un cocktail rare. « Quand on y vit, on se dit que c’est dommage de perdre des maisons pour les remplacer par des immeubles sans aucun charme, mais il y a un besoin de logements à Rennes, poursuit Emma. Moi aussi j’ai galéré. Et je me dis qu’il faut éviter de dégommer des espaces naturels ou agricoles. Mais il est clair que je ne resterai pas ici toute ma vie car le développement des immeubles casse l’esprit quartier ».

Pour la plupart résignés face à cette densification, les habitants de la rue de Châteaugiron attendent maintenant de voir comment leur quartier va vivre avec des habitants chaque année plus nombreux. « On n’est pas contre la densification, mais on aimerait juste comprendre la logique », interroge Antoine, membre d’un collectif de riverains opposés à la construction des quatre immeubles de la Zac du Haut-Sancé. « Nous aimerions que la municipalité, avant de construire, pense avant à l’environnement autour de chaque projet (infrastructure, mobilité, transport en commun, écoles, service, parking, sport, etc.) et de là, bâtisse les logements qui pourront être absorbés par le quartier.

Selon lui, les infrastructures peinent encore à suivre le rythme. « Aux heures de pointe, le bus C1 est toujours blindé. On voit aussi de plus en plus de voitures se garer dans les rues adjacentes car il n’y a plus assez de places. Notre crainte, c’est de savoir si les nouveaux habitants vont être bien accompagnés. » Côté transports, la future ligne de Trambus T3, entre Saint-Grégoire et Chantepie via cette rue de Châteaugiron, est censée apporter une solution. Mais à l’horizon 2030.