A l’orée d’une cinquième nuit de tensions, un couvre-feu est entré en vigueur le soir du mardi 10 juin dans le centre de Los Angeles, tandis que Donald Trump promettait de «libérer» la ville d’une «invasion» qu’il a attribué à de prétendus «ennemis étrangers», lors d’un virulent discours prononcé depuis une base militaire.

«J’ai déclaré une urgence locale et instauré un couvre-feu dans le centre-ville de Los Angeles pour mettre fin aux actes de vandalisme et de pillage», a annoncé la maire démocrate de la ville, Karen Bass, précisant qu’il serait en vigueur de 20 heures locales (5 heures du matin à Paris) à 6 heures du matin dans une zone d’environ 1,6 kilomètre carré, affectant moins de 100 000 des 4 millions d’habitants de la mégapole. «La nuit dernière, 23 commerces ont été pillés, et je pense que si vous traversez le centre-ville de Los Angeles, les graffitis sont omniprésents et ont causé des dommages importants aux commerces et à un certain nombre de propriétés», a-t-elle ajouté.

Des dizaines de manifestants demeuraient dans le centre-ville à l’heure de l’entrée en vigueur du couvre-feu, ont constaté des journalistes de l’AFP. La police de Los Angeles a annoncé tard mardi soir des «arrestations de masse» et que «des dizaines d’interpellations» avaient été effectuées pour non-dispersion lors d’un rassemblement illégal.

Depuis vendredi, la deuxième plus grande ville américaine, à forte population d’origine hispanique, est le théâtre de heurts entre protestataires dénonçant des raids de la police fédérale de l’immigration (ICE) contre les sans-papiers et des forces de l’ordre en tenue anti-émeutes. Ces affrontements sont néanmoins restés sporadiques et localisés.

Les rues sont restées relativement calmes mardi dans le centre-ville, y compris dans le quartier de Little Tokyo, après un face-à-face nocturne entre des manifestants tirant des feux d’artifice vers des policiers et ces derniers ripostant avec du gaz lacrymogène. Cependant, des agents de la police de Los Angeles sont intervenus pour procéder à des arrestations parmi quelques centaines de manifestants devant un tribunal. Un peu plus loin, une centaine de personnes ont brièvement interrompu la circulation d’une autoroute. Au total, près de 200 personnes ont été arrêtées mardi selon le chef de la police de Los Angeles Jim McDonnell.

Les manifestations se sont étendues à plusieurs autres grandes villes américaines. A New York, des centaines de manifestants ont défilé dans le sud Manhattan mardi soir près du bâtiment fédéral abritant les bureaux de l’ICE et le principal tribunal d’immigration de la ville. Les tensions ont dégénéré dans la soirée avec des affrontements entre manifestants et policiers, conduisant à environ 45 arrestations. À Chicago, des manifestants anti-ICE ont également défilé, perturbant la circulation, et un incident impliquant une voiture fonçant dans la foule de manifestants a été capté par les hélicoptères ces chaînes d’infos.

Alors que le président républicain, qui fait planer la menace de recourir à l’état d’urgence, a ordonné la mobilisation de milliers de militaires supplémentaires et que 700 Marines en service actif sont attendus en renfort dans la mégapole californienne, le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom tente lui d’empêcher ce déploiement, par voie judiciaire.

Jusqu’à quand ce déploiement de militaires – dont le coût est estimé à 134 millions de dollars par le Pentagone – durera-t-il ? «Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger», a répondu mardi Donald Trump. Les manifestations se sont étendues à d’autres métropoles américaines, avec parfois des accrochages. Mardi en début de soirée, quelques milliers de personnes ont ainsi marché dans le sud de Manhattan pour protester contre la politique migratoire de Donald Trump.

«Je suis ici pour défendre ceux qui ne peuvent pas faire entendre leur voix», a expliqué à l’AFP une jeune femme née aux Etats-Unis d’une mère mexicaine sans statut officiel. «Franchement, ce pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans les immigrés», a-t-elle ajouté en requérant l’anonymat.

Mardi soir, Gavin Newsom a prononcé un discours télévisé national depuis Los Angeles, dans lequel il a mis en garde contre ce qu’il considère comme une menace autoritaire. «La démocratie est attaquée sous nos yeux, le moment que nous redoutions est arrivé», a-t-il déclaré. «Trump prend un marteau-piqueur aux fondements de notre démocratie, détruisant les trois branches égales du gouvernement. Il n’y a plus ni contrôle ni contre-pouvoir. Le Congrès est aux abonnés absents», a-t-il ajouté, accusant le président de se comporter «comme un tyran, pas comme un président».

Entretemps, la polémique enfle sur la démonstration de force de l’administration Trump. «Déployer dans la rue des combattants entraînés pour la guerre est sans précédent et menace le fondement même de notre démocratie», a dénoncé Gavin Newsom, considéré dans les rangs démocrates comme un candidat probable à la Maison Blanche pour 2028. «Donald Trump se comporte comme un tyran, pas comme un président.»

Le déploiement de troupes fédérales contre l’objection des autorités locales constitue une première depuis les années 1960, lorsque des troupes de la Garde nationale avaient été envoyées pour protéger les manifestants des droits civiques en Alabama. Ce précédent soulève des questions constitutionnelles majeures sur l’usage de l’armée à des fins domestiques.

La garde rapprochée du président a elle surenchéri dans la défiance envers les autorités californiennes. Gavin Newsom «mérite le goudron et les plumes», a affirmé le patron républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson. Interrogé sur la différence de réaction à ces manifestations par rapport à l’invasion du Capitole par une foule de partisans de Trump le 6 janvier 2021, il a répondu qu’il y avait «une nette différence : les personnes qui ont enfreint la loi et détruit des biens [le 6 janvier] ont subi les conséquences qui s’imposaient». Du moins jusqu’à bénéficier en masse de la grâce trumpienne le 20 janvier dernier.

Par ailleurs, Trump s’est fendu mardi d’un avertissement menaçant contre toute protestation lors de la parade militaire prévue samedi à Washington pour célébrer le 250e anniversaire de l’armée, qui coïncide opportunément avec son propre 79e anniversaire. «Pour ceux qui veulent protester, ils seront confrontés à une force très importante», a-t-il assuré.