On dit qu’elle est la dernière sorcière de Provence. Mais personne ne sait si Marie Bousquet l’était vraiment. « Je crois que ceux qui auraient pu la connaître sont tous décédés aujourd’hui… »
Fascinée par la légende, Martine Vita Ciofi a enquêté pendant un an sur cette étrange dame « plus fée qu’humaine », qui serait née et décédée à Aiguines au siècle dernier. Depuis sa résidence secondaire à Aups, l’autrice a sondé les archives, interrogé les habitants du village et écrit son cinquième livre. Marie de Canjuers, la dernière sorcière du haut Var est sorti aux Presses du midi hier. Un roman qui, à travers 95 pages, retrace sa vie entre contes, fictions et réalités tirées de vieux papiers.
Elle cueillait ses herbes magiques à Canjuers
Marie Bousquet avait-elle un nez crochu, des verrues, un chapeau pointu et un balai pour survoler le maquis Vallier? On laissera les enfants y croire… Reste que Martine Vita Ciofi n’a trouvé aucun cliché de cette mystérieuse femme. « Il y a plein d’autres choses qui clochent dans son histoire. » Il se murmure que, comme toute sorcière qui se respecte, elle n’aurait jamais eu d’enfant et ne se serait jamais mariée. « Les gens du coin affirment aussi qu’elle serait décédée à l’âge de 45 ans. Alain Archiloque, l’ancien maire de Moustiers-Sainte-Marie (2008-2014), assure qu’elle est morte dans les bras du docteur du coin, Cassius-Brutus Senes. » Impossible. Selon les archives, le médecin a disparu avant la magicienne.
« Il n’y a pas grand-chose à dire sur elle. Marie Bousquet était une fille comme toutes les autres je pense, proche de la nature, simple et solitaire. » C’était une cultivatrice, comme son père. « Canjuers, c’était le bout du monde. Il n’y avait ni le camp militaire, ni le lac de Sainte-Croix. Il fallait se débrouiller par soi-même. » On raconte qu’elle avait l’habitude de cueillir ses herbes « magiques » dans le maquis pour faire ses potions curatives. C’était une herboriste, une guérisseuse. Mais Martine Vita Ciofi n’a trouvé aucune trace de ses prétendus soins. « Vous savez, à cette époque, il y avait beaucoup de rebouteux. » L’information passait surtout par le bouche-à-oreille.
Marie Joséphine Jeanne Bousquet a vécu au hameau de La Médecine, à Aiguines, sur le plateau de Canjuers. Crédit photo Web uniquement.
Marie Bousquet n’a en fait jamais disparu…
Hameau du pont*, le 10 mars 1895. Des vagissements résonnent non loin du village d’Aiguines. Anaïs Long vient de donner naissance à Marie Joséphine Jeanne Bousquet. Voilà cinq ans qu’elle vit ici en métayage avec son mari, Isaï Joseph Bousquet. La petite famille n’y reste pas longtemps. Elle déménage un an plus tard. Puis trois autres fois avant qu’elle ne se sépare.
En 1921, Marie est devenue grande. À 26 ans, elle prend son indépendance et s’installe au hameau de La Médecine, toujours à Aiguines. Mais ses parents ne sont pas loin: « Ils ont investi une maison dans la rue Haute avec son oncle Siméon, le frère d’Isaï. » En faisant d’autres recherches, Martine Vita Ciofi retrouve un article de presse relatant une affaire judiciaire: On apprend qu’un dénommé Bousquet est accusé, en 1923, d’avoir volontairement mis le feu à deux reprises au village. Le propriétaire des bâtiments atteints par l’incendie s’appelait monsieur Isnard. Le dénommé Bousquet ne lui aurait pas pardonné d’avoir épousé sa cousine que lui-même courtisait… »
À cet instant, tout prend sens.
La dernière sorcière de Provence s’est mariée. Avec Bertin Isnard, un tourneur sur bois. C’était le 29 avril 1916.
La romancière creuse encore… Et tombe des nues. Une fois de plus. « Ils ont eu deux filles. » Sacrilège!
La première vient au monde un an après leur union. Puis, Gabrielle fait la connaissance de sa petite sœur, Marie-Claire, en 1923.
Soudain, abracadabra.
Comme le veut la légende, Marie Bousquet est victime d’un coup du sort. Elle disparaît donc à 45 ans. Des offrandes fleurissent aussitôt sur le parvis de La Médecine. Hommage ou geste de reconnaissance?
En réalité, alors que les rumeurs la disent décédée, il n’en est rien. Marie Bousquet est simplement partie s’installer dans le département d’à-côté! Elle a emmené son mari et ses filles à Aiglun. « On ne saura jamais pourquoi. Mon hypothèse, c’est qu’ils sont allés se rapprocher de Marie Noémie Eugénie, la petite sœur de la sorcière (2). Elle vivait à Péroules. Elle avait récemment perdu son époux. »
La famille ne reviendra à La Médecine qu’en 1931… comme par magie.
Selon les archives, Marie Bousquet se fait discrète. Pendant au moins vingt-sept ans. Martine Vita Ciofi a retrouvé un acte notarié datant de 1958: « Elle et son mari ont vendu une remise à Aiguines. » Bertin Isnard meurt en 1966. Mais un autre mystère entoure sa perte. « On ne sait pas exactement s’il a quitté ce monde dans les Alpes-de-Haute-Provence ou à Aiguines… » Sa sépulture est bien ici, mais le registre d’inhumation fait état de la mention « relevé à Aiglun ». « Je ne suis pas parvenue à la déchiffrer. »
Ce secret, Marie Bousquet l’a sans doute emporté avec elle dans sa tombe, à Aiguines. La sorcière décède à son tour le 27 septembre 1978, à l’âge de 83 ans.
Peut-être un sortilège? Qui sait…