Par

Antoine Blanchet

Publié le

13 juin 2025 à 7h32

Le téléphone sonne puis décroche. La voix du standard d’accueil du 17 se présente et demande quel est l’objet de l’appel. À l’autre bout du fil, cinq jeunes. Deux sœurs, leur frère et deux amis d’enfance. Le quintet ne demande ni secours, ni dépôt de plainte. C’est tout l’inverse. Ils viennent de faire “une bêtise”, “une erreur”. Ces deux dernières heures, ils ont séquestré, frappé et volé un cycliste. Ils veulent savoir si c’est grave. La voix du standard est interloquée. Elle n’a pas l’habitude d’être sollicitée pour des conseils juridiques par des auteurs d’infractions. 

« I want 300 euros »

Toute cette histoire commence par un gros boum. Le 23 mars 2025, vers 4h30, Nigel* dévale à vélo l’avenue Gambetta, à proximité du Père Lachaise à Paris. Le cycliste a bu de l’alcool chez des amis. Il roule à plein régime sur la chaussée déserte, et c’est le choc. Il percute l’arrière d’une BMW gris clair. 

Ce banal accident de la circulation prend très vite une étrange tournure. Le cycliste, bien amoché au visage, voit les deux occupants de la voiture fondre sur lui. Il s’agit d’un frère et d’une sœur. Ils semblent plus impactés par les dommages subis par leur véhicule que ceux subis par le visage de l’accidenté. “Money ! Money ! I want 300 euros”, lance d’une voix menaçante la jeune femme à Nigel qui ne parle qu’anglais. Pas de constat. Pas d’accord à l’amiable.

La victime laissée sur le trottoir au bout de deux heures

L’usager du vélo accepte de payer, mais propose d’appeler la police. Le duo refuse. Il tente de prendre la fuite. L’homme le rattrape puis le frappe. Un troisième individu au physique d’armoire à glace arrive soudain en voiture. Appelé par les deux frangins, il n’est pas plus sympathique. Il demande aussi de l’argent pour payer les dégâts. Il tire la victime dans son véhicule. Le passager de la BMW les accompagne. Ils roulent jusqu’à la Banque Postale située place Martin Nadeau. Durant le trajet, Nigel reçoit de nouveaux coups. 

Arrivés devant l’établissement, le colosse demande au cycliste sa carte bleue et son code. Accompagné de la conductrice de la BMW, il effectue un retrait de 300 euros au distributeur. Des virements sont aussi tentés via des applications bancaires, allant jusqu’à 1 200 euros. Après ces transactions, une troisième voiture arrive avec un homme et une femme. Cette dernière est la sœur des deux occupants du véhicule cabossé par le cycliste. Nigel aurait encore été frappé à ce moment-là. 

Après deux heures de tension, la victime est laissée sur le trottoir avec son portefeuille, sa terreur et ses blessures. Elle parvient à filmer la plaque d’immatriculation de la BMW et appelle la police. De leur côté, les cinq suspects font la même chose. À froid, ces jeunes quasi-inconnus de la justice se rendent compte qu’ils sont allés bien trop loin. Ils seront interpellés dans les jours suivants. 

« On a privilégié une voiture à une vie »

Ce jeudi 12 juin 2025, le président de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris leur confirme une nouvelle fois leurs inquiétudes. Oui, ils ont commis des faits graves. Tous encourent 7 ans d’emprisonnement. Les deux frères et sœur qui étaient dans la BMW, Nevena et Nenad, sont dans le box. La deuxième sœur, Natacha, le géant Rayan et l’ami d’enfance comparaissent libres. La victime, qui s’est vue octroyer 45 jours d’incapacité totale de travail (ITT), est absente.

À la barre, tous reconnaissent les faits. Le frère et la sœur expliquent que la voiture encastrée appartenait à leur mère, qui a travaillé dur pour l’acquérir. 

“En fait, quand je l’ai vu partir en courant, j’ai pas apprécié et c’est à partir de là que toutes les décisions ont commencé à s’enchainer. On a pris que des mauvaises décisions ce soir-là”, affirme Nevena d’une voix forte. 

« Il nous a dit qu’il voulait nous rembourser, mais finalement il ne voulait pas. Ça nous a saoulés », ajoute son frère. 

Le prévenu ajoute que la victime était consentante pour retirer de l’argent afin de payer les dégâts. 

« Mais s’il était d’accord. Pourquoi avoir eu besoin de lui demander ses codes de carte bleue et de faire les retraits à sa place ? », questionne le président. 

Silence dans la salle. 

Tous expriment des regrets. « Sur le coup du stress, on a mal agi. On regrette fortement. Je me mets à la place de la victime. On a privilégié une voiture à une vie », reconnaît Nevenna. « J’ai honte. On a été lâches », rajoute Rayan. 

Des peines de prison ferme requises 

Sincère ou non, ce repentir n’émeut pas le procureur. « Aucun d’eux ne s’est opposé au déroulement des faits. Aucun d’eux n’a cherché à stopper le cycle infernal », fustige le magistrat dans son réquisitoire. Il demande des peines sévères. Pour Nevena et Nenad, 24 mois de prison, dont 18 mois ferme avec maintien en détention. Pour Rayan, 24 mois, dont 8 fermes aménageables. Pour les deux autres prévenus, arrivés sur les derniers sur les lieux des faits, 18 mois de prison avec sursis sont requis. 

À la défense, on tente de mettre en avant le profil immaculé des prévenus et le choc salvateur de cette procédure pénale. « Il a eu tout un cheminement en prison. Il a honte d’être là aujourd’hui », affirme l’avocate de Rayan (il avait été placé en détention avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire ndlr). « 

Aucun d’eux n’a le profil pour comparaître devant cette juridiction. Ça rappelle au public que la vie d’une personne normale peut basculer en 30 secondes », ajoute le conseil de Nenad. On demande du sursis. Les deux sœurs essuient leurs larmes lorsque leur avocate plaide. Au milieu de ses arguments pour la clémence, la pénaliste ne peut que reconnaître :  « On aurait aimé qu’ils pensent au mot « constat ». On ne serait pas là aujourd’hui ».

L’audience a été mise en délibéré pour le 23 juin. 

*Le prénom a été modifié 

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