Martin Scorsese ne mâche pas ses mots : « La réélection de Donald Trump a été une immense déception. Je ne suis pas un homme politique, j’essaie seulement de comprendre ce qu’est la compassion, ce qui compte dans la vie entre les êtres humains. Et je ne trouve rien de cela dans l’administration Trump. Au contraire, on dirait qu’elle prend plaisir à faire le contraire, à faire souffrir. C’est triste. Tragique. »
Scorsese est arrivé à Taormine, et Taormine lui rend hommage. À 82 ans, le grand réalisateur américain est de retour – comme il préfère le dire – en Sicile, pour recevoir un prix honorifique au Festival du film de Taormine, relancé cette année par Tiziana Rocca. Au programme : une masterclass avec des étudiants en cinéma, le tapis rouge en compagnie de sa fille Francesca, la cérémonie de remise de prix, et enfin, une projection de Taxi Driver, l’un de ses films les plus mythiques, dans le décor millénaire du Théâtre antique.
Le cinéaste a parlé de ses racines, de la vocation et de la religion, d’une démocratie en péril, et de ces jours incertains dans cette Amérique qu’il aime tant. « Mon père était originaire de Polizzi Generosa, ma mère de Ciminna, a-t-il expliqué aux étudiants. Pour moi, venir ici n’est pas une visite, c’est un retour. J’ai tant appris de ma famille. » Et de poursuivre : « J’ai grandi à New York, immergé dans la culture sicilienne, dans un environnement très dur. Deux mondes cohabitaient autour de moi : d’un côté la foi, la compassion ; de l’autre, le crime organisé. Et peut-être que tout ce que je raconte dans mes films vient de là : la foi et les gangsters. »
Martin Scorsese au Festival de Taormine.
Daniele Venturelli/Getty ImagesReligion et nouveaux projets
Ses prochains projets sont d’ailleurs tous marqués par la spiritualité : un nouveau film sur Jésus, une série sur la vie des saints, et un documentaire sur le pape François. Scorsese sourit souvent, développe longuement ses réponses, regarde autour de lui. Vêtu d’une chemise bleu ciel et d’une veste claire, enfoncé dans un fauteuil de l’hôtel Metropole, face à un petit groupe de journalistes, il commence à parler.
« Je travaille sur un projet autour de la vie de Jésus, transposée dans le monde contemporain. Je cherche un angle qui fonctionne vraiment, et je pense qu’il me faudra encore au moins un an. L’idée remonte aux années 60, à l’époque où j’imaginais un film inspiré des Évangiles, situé dans le Lower East Side de New York, ces quartiers pauvres où j’ai grandi. J’avais déjà commencé à y réfléchir quand j’étais étudiant à la NYU, qui ne comptait alors qu’une trentaine d’élèves. On voulait tourner en noir et blanc. Mais ensuite, j’ai vu L’Évangile selon saint Matthieu de Pasolini et je me suis dit : “Stop, il faut que je trouve une autre voie.” »
Le pape François
« Oui, j’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises. En ce moment, nous achevons un documentaire intitulé Aldeas – A New Story, produit avec Scholas Occurrentes, un mouvement actif en Argentine. Le film a été tourné en Sicile – j’y étais avec eux en octobre – mais aussi en Gambie, en Amazonie, et dans d’autres lieux. L’idée, c’est de raconter des histoires pour mieux connaître les cultures, les manières de penser différentes, et apprendre les uns des autres. Le pape François apparaît dans ce film : il s’adresse aux jeunes au nom des conseils des anciens. J’étais l’un de ces anciens. »
Le nouveau pape
À propos de Léon XIV, le nouveau pape, Scorsese précise : « Je ne le vois pas comme un “Américain”. Quiconque devient pape doit l’être pour tous. Ce n’est pas parce qu’on est élu qu’on devient subitement argentin, nigérian ou philippin : on est le pape. Le défi aujourd’hui, c’est que l’Église garde son âme tout en s’ouvrant au monde. Et d’après ce que j’ai lu sur lui, je pense qu’il a la bonne approche. » Ce qui compte, dit-il, c’est de travailler à la paix : « La paix commence par la connaissance, par savoir où se situent les gens, par un travail sur le cœur. Ce n’est pas seulement l’absence de conflit. Il nous faut être moins avides. Même si nous ne sommes pas d’accord politiquement, nous devons reconnaître à chacun le droit de vivre. C’est la seule manière de bâtir une paix véritable. »
Foi et vocation
La spiritualité a toujours occupé une place centrale dans sa vie, raconte-t-il, en lien direct avec son enfance : « Quand j’étais très jeune, l’un des seuls endroits où je trouvais du réconfort, c’était la vieille cathédrale Saint-Patrick, à Manhattan. Il y avait là un prêtre, jeune, sévère, solide, qui était formidable avec nous. Il nous a ouvert à la littérature. Il nous faisait voir le monde à travers une lentille plus ancienne. Non, après tout, nous vivions vraiment dans un monde ancien. Nous vivions dans le monde de la Sicile. Nous vivions à Cimina et à Polizzi Generosa, des lieux très beau, mais c’était le monde des immigrants plus âgés, arrivés en 1910, en 1900. Nous, on représentait une nouvelle génération. Et on savait qu’un autre monde existait au-dehors. Ce monde s’appelait New York. Et New York faisait partie d’un pays nouveau appelé l’Amérique. Ce prêtre se tenait entre les deux. Il nous a parlé pour la première fois. Et je me suis dit : ce serait merveilleux d’être comme lui. D’être un tel enseignant. En plus, j’étais un enfant malade, constamment souffrant. J’avais un asthme terrible. Je ne pouvais pas faire de sport. On me mettait au cinéma… ou à l’église. »