Au début des années 1990, Michel Geffard, médecin et directeur de recherche à l’Inserm de Bordeaux semblait promis à une brillante carrière. Ses travaux sur le rôle de l’intestin dans les maladies telles que la sclérose en plaques ou la maladie de Charcot lui valaient des distinctions et des publications dans de prestigieuses revues scientifiques. Mais trente-cinq ans plus tard, le médecin bordelais, radié en 2017 et âgé de 78 ans, va devoir s’expliquer à la barre du tribunal correctionnel de Paris à partir de ce lundi 16 juin pendant deux semaines.

Aux côtés de son épouse, d’un homme d’affaires et d’un généraliste bayonnais, mais aussi d’une association et d’une start-up, il répondra de tromperie, pratiques commerciales trompeuses, d’exercice illégal de la médecine, de la profession de pharmacien et de celle de biologiste, de distribution d’un médicament non autorisé, fabrication et distribution de substances actives sans autorisation…

La justice reproche aux prévenus d’avoir mis en place une chaîne de soins transfrontalière afin de vendre à des centaines de malades atteints par des maladies incurables des traitements mis au point par Michel Geffard en dehors de toute autorisation. Dans les années 1990, Michel Geffard pense avoir découvert un médicament, les polycomplexes, pour soulager et prévenir ces maladies. Ces molécules sont censées neutraliser les antigènes bactériologiques qu’il suspecte de causer des maladies neurodégénératives. Il estime également avoir mis au point au dispositif par prélèvements sanguins pour établir des diagnostics et adapter le traitement.

Les foudres du Conseil de l’ordre

Mais les premières alertes tombent sur les pratiques du chercheur. Dès 1995, le Conseil de l’ordre des médecins le suspend trois mois pour avoir prescrit à un malade un médicament de son invention mais non autorisé. Il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bordeaux qui le relaxe sur la plupart des poursuites, considérant que les produits délivrés s’apparentent plus à des « allergènes » qu’à des traitements. Il écope toutefois de 8 000 francs (environ 2 000 euros) avec sursis pour s’être dispensé de solliciter l’avis de l’Agence du médicament et de l’Académie de médecine.

Mais en 2017, il est cette fois définitivement radié par le Conseil de l’ordre. Il lui est à nouveau reproché d’avoir prescrit un médicament non autorisé après avoir établi un diagnostic sur un patient sans le rencontrer. De quoi refroidir la communauté scientifique. Mais pas les adeptes des médecines alternatives et des théories parfois complotistes sur la médecine académique. « Il a été sursollicité par des malades désespérés et a pris un risque pénal pour les aider. Mais il n’y a pas chez lui de contestation de l’ordre public sanitaire », assure son avocat, Me Charles Dufranc.

La juge d’instruction reproche à ce dispositif d’avoir cherché à donner « une fausse apparence de conformité »

Adossé à la start-up Polyneuros à Saint-Jean-d’Illac (33) dont il est responsable scientifique, et une association, IDRPHT, créée pour soutenir ses recherches, Michel Geffard est soupçonné d’avoir continué à soigner des centaines de patients, notamment par le truchement de docteurs qui servaient de prête-nom. Les bilans sanguins, dits immuno-bilans étaient réalisés soit par l’association à qui les malades versaient entre 150 et 400 euros sous forme de dons, soit par Polyneuros. Aucune des structures n’était habilitée à les pratiquer. Et l’enquête va révéler que ces analyses étaient loin d’être exécutées dans les règles de l’art.

Une pharmacie à Milan

À Saint-Jean-d’Illac, Polyneuros fabriquait les principes actifs des polycomplexes sans avoir le moindre agrément et à partir de substances dont certaines n’étaient pas conformes à la pharmacopée européenne. Les produits étaient ensuite envoyés dans une pharmacie à Milan qui les assemblait sous forme de comprimés.

Dans son ordonnance, la juge d’instruction reproche à ce dispositif d’avoir cherché à donner « une fausse apparence de conformité » à ce traitement régulièrement retoqué par les autorités sanitaires faute de données cliniques et qui visait des personnes vulnérables pour lesquelles il n’existait pas de thérapeutique pour éviter la mort.

Le praticien, de son côté, assure avoir agi dans un sentiment compassionnel. « C’est un dossier qui n’est abordé que sous un angle administratif rigide sans jamais se pencher sur la portée scientifique des recherches menées par mon client depuis quarante ans. Michel Geffard ne s’est pas enrichi et n’a pas mis la vie des malades en danger. Il a pu faire des essais qui lui donnaient la garantie que les polycomplexes n’étaient pas nocifs. Mais pour confirmer ses indices sur l’efficacité du traitement, il aurait fallu de coûteux essais de phase 3. Aucun laboratoire n’a voulu les prendre en charge », observe Me Dufranc

À ce jour, aucun patient ne s’est constitué partie civile.