Pendant des décennies, nos
connaissances sur les premiers hominidés reposaient sur des os, des
dents et de nombreuses spéculations. Aujourd’hui, une avancée
scientifique majeure vient bouleverser cette approche : pour la
toute première fois, des chercheurs sont parvenus à déterminer le
sexe biologique d’individus appartenant à une espèce humaine
éteinte… vieille de deux millions d’années.
L’étude, publiée dans la
prestigieuse revue Science, marque une étape décisive dans
l’exploration de nos origines. Grâce à une méthode innovante – la
paléoprotéomique – des scientifiques ont analysé des protéines
fossiles extraites de dents retrouvées dans la célèbre grotte de
Swartkrans, en Afrique du Sud. Et ce qu’ils ont découvert dépasse
toutes les attentes.
Des protéines fossiles pour
percer le mystère du sexe
Jusqu’à présent, il était
impossible d’identifier le sexe des individus appartenant au genre
Paranthropus, une lignée cousine de la nôtre, qui
vivait il y a environ 2 millions d’années. La raison ? Leur ADN est
bien trop ancien pour être préservé. Les chercheurs devaient alors
s’en remettre à la forme et à la taille des os, en supposant que
les mâles étaient plus grands que les femelles – une méthode
sujette à erreur.
Mais cette fois, les
scientifiques ont eu une autre idée : étudier les protéines de
l’émail dentaire. Contrairement à l’ADN, certaines protéines
peuvent survivre beaucoup plus longtemps. En utilisant des dents
fossiles attribuées à Paranthropus robustus, l’équipe a pu reconstituer des
séquences de peptides et identifier deux individus mâles et deux
femelles.
Et là, surprise : l’une des
plus petites dents appartenait à un mâle. De quoi remettre
sérieusement en question les anciennes hypothèses basées uniquement
sur la morphologie.
Paranthropus robustus cranium SK 48. Crédit : Dr Bernhard
Zipfel,Une diversité génétique bien
plus grande qu’on ne le pensait
Cette découverte ne se limite
pas à une question de sexe. En observant de près les séquences
protéiques, les chercheurs ont également mis en évidence des
différences génétiques subtiles entre les dents analysées. L’une
d’entre elles se distingue des autres par un seul acide aminé – une
variation infime, mais significative.
Cela pourrait indiquer
l’existence de différentes populations ou sous-espèces de
Paranthropus, vivant simultanément dans la même région. Une
hypothèse déjà soutenue par la découverte récente de
Paranthropus capensis,
une espèce décrite comme plus « gracile » que ses
cousins.
En d’autres termes : la
diversité au sein du genre Paranthropus était probablement bien
plus vaste que ce que les paléoanthropologues imaginaient
jusqu’ici.
Une nouvelle pièce du puzzle
de l’évolution humaine
Présents en Afrique australe
en même temps que les premiers représentants du genre
Homo (Homo habilis, Homo erectus), les Paranthropus avaient un mode de vie mixte,
entre marche bipède et escalade arboricole. Ils ne sont pas nos
ancêtres directs, mais faisaient clairement partie du paysage
évolutif de l’époque.
Les analyses montrent que
leurs protéines dentaires sont très proches de celles du genre
Homo, ce qui confirme leur parenté évolutive étroite avec notre
propre lignée.
Pour le Dr Marc Dickinson,
co-auteur de l’étude, « extraire d’anciens acides aminés de l’émail
d’hominidés aussi anciens est stupéfiant. Cela ouvre des
perspectives entièrement nouvelles pour comprendre notre histoire
évolutive sur le continent. »
Et maintenant ?
Cette étude montre que même en
l’absence d’ADN, la paléoprotéomique peut révolutionner la
paléoanthropologie, en apportant des données objectives sur des
individus très anciens. À l’avenir, cette méthode pourrait
permettre de reclasser certaines espèces fossiles, d’en identifier
de nouvelles, et surtout, de mieux comprendre la complexité et la
richesse de l’évolution humaine en Afrique.
La science continue de faire
parler les os – et désormais, les dents aussi.