Un an après Tancrède, Rouen affiche l’autre seria rossinien inspiré de Voltaire, toujours mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau. Si la production s’oublie vite, la distribution, bien qu’inégale, tient son rang et la direction de Valentina Peleggi imprime à l’œuvre un bel élan dramatique.
© Caroline Doutre
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
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“Semiramide” de Rossini à Rouen
Mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau
À Babylone, la reine Sémiramis, avec la complicité du prince Assur, a assassiné son mari Ninus. Elle n’a d’yeux que pour le jeune général Arsace, qui, comme Assur et le prince indien Idreno, convoite la princesse Azema. Sémiramis proclame son intention d’épouser son jeune favori et d’en faire le successeur de Ninus. Apparaît alors le spectre du roi : Arsace pourra régner s’il descend dans son tombeau et sacrifie une victime. Le grand prêtre Oroe lui révèle ensuite qu’il est en réalité le fils disparu de Ninus et de Sémiramis, qui le supplie, en vain, de la tuer. Sémiramis, Arsace et Assur descendent au tombeau de Ninus. Quand, sur l’ordre d’Oroe, Arsace frappe la victime désignée, il atteint sa mère bien qu’il croie tuer Assur. Ninus est vengé, Arsace régnera.
La tragédie de Voltaire a inspiré beaucoup de livrets d’opéras, dont seul celui de Rossini a traversé le temps, s’imposant de nouveau à partir des années 1960 grâce à Joan Sutherland. Le cygne de Pesaro signe ici son dernier ouvrage seria, un melodramma tragico en deux actes où la colorature virtuose atteint des sommets dans des airs et des duos éblouissants. D’une grande puissance dramatique, riche d’ensembles, tels l’introduction et le grandiose finale de l’acte I, l’œuvre révèle aussi, dès la célèbre Ouverture, une science de l’orchestre que les feux d’artifice vocaux font trop souvent négliger. Quand on voit Sémiramis, il faut également écouter la fosse.
La tragédie est morte
Décors noirs, sobres mais imposants : Pierre-Emmanuel Rousseau veut, avec raison, restituer le tragique ténébreux et la dimension spectaculaire de l’œuvre. Plus ambitieux que pour Tancrède, il convoque malheureusement deux références cinématographiques qui en détournent l’esprit, Les Prédateurs de Tony Scott, avec une Catherine Deneuve vampire et fatale, et Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. La cour de Babylone devient le siège oppressant d’une « société secrète où Sémiramis organise des sacrifices », où l’on consomme force alcool, tabac et drogue (Assur n’en finit pas de sniffer)… et le sang des morts. La princesse Azema, pourtant rôle très épisodique, se mue en une goule qui se repaît du sang de ses victimes, Idreno puis Arsace, ceignant à la fin la couronne royale – le lieto fine obligé du seria est évacué au profit d’un dénouement hasardeux.
Prise au piège d’une greffe qui ne prend pas, la production fait long feu – notamment par la chorégraphie. Le souvenir des films se superpose artificiellement à l’opéra. Rien n’inspire ici la terreur ou la pitié, la tragédie a disparu. Pas assez tendue pour un tel sujet, la direction d’acteurs elle-même ne va pas au bout des situations et des personnages, la scène où Arsace révèle son identité à sa mère tombe à plat. Ceux qui assisteront à la version de concert donnée au Théâtre des Champs-Élysées n’auront rien perdu – sauf les belles lumières de Gilles Gentner.
Quand le meilleur vient d’Assur
Le 3 février 1823, la Fenice de Venise avait réuni un plateau d’exception, avec l’Arsace de Rosa Mariani, l’Assur de Filippo Galli, même si Isabela Colbran (dans le rôle-titre), l’épouse du maître, commençait à décliner. Inégale, la distribution rouennaise n’atteint pas de tels sommets mais se tient plutôt bien. Sans avoir le port et l’éclat de la reine, sans coïncider non plus tout à fait avec la tessiture du rôle, où il faut un médium et un grave plus substantiels, Karine Deshayes, de plus en plus soprano, convainc par sa maîtrise du canto spianato et du canto fiorito, par le rayonnement solaire de l’aigu aussi. Voici une Sémiramis techniquement et stylistiquement orthodoxe, reine plus fragile qu’impérieuse, bourrelée de remords, mais qui laisse un souvenir moins fort qu’une Salomé Jicia à Nancy, où Franco Fagioli interprétait Arsace. Huit ans après, le contre-argentin exhibe à Rouen des registres plus dessoudés encore, avec un médium exsangue et un aigu sans gloire, comme s’il avait trois voix, faisant d’autant plus regretter la flamboyance d’un contralto travesti, mais conservant heureusement sa science belcantiste pour incarner un Arsace moins vaillant et plus introverti.
Le meilleur, à vrai dire, vient de l’Assur de Giorgi Manoshvili, même s’il manque les graves du prince à son baryton basse : superbe timbre, ligne racée, colorature aisée. La scène de folie du II, où s’anticipent les visions de Nabucco ou de Macbeth, est remarquable par le phrasé et la noblesse de l’expression. Un authentique rossinien. L’autre clé de fa, pour être beaucoup moins exposée, n’impressionne pas moins : la basse puissante de Grigory Skarupa a toute la majesté du grand prêtre. Peu assuré au I, d’où l’on a retranché son air, Alasdair Kent, à l’émission serrée, s’affirme au II, avec des aigus haut-perchés où il risque de beaux diminuendos, un chant à la fois agile et châtié.
Tandis que le chœur (Accentus se joignant aux forces de la maison) assure bien, l’Orchestre de l’Opéra Normandie Rouen ne brille guère par la beauté de ses sonorités, peinant à restituer les couleurs de la partition, mais Valentina Peleggi le tient d’une main ferme. Elle a le sens du théâtre et du temps dramatique, animant de façon très suggestive les passages orchestraux, si bien que la longueur de la partition – plus de trois heures – ne se ressent jamais malgré des reprises qu’on eût aimées plus variées.
Semiramide de Rossini. Rouen, Théâtre des Arts, le 12 juin.