Tokyo cherche à reprendre une place prépondérante dans le marché mondial de l’armement. Manière de se rapprocher de ses alliés, dans un tournant stratégique d’ampleur.
Les « trois principes » de 1967 ont fait long feu. Le Japon, qui avait pendant des décennies proné une certaine forme de désarmement, en refusant notamment d’exporter ses armes à l’étranger ou presque, va prendre un tournant.
Le ministre de la Défense, Gen Nakatani, a ainsi défendu dans la presse japonaise sa volonté de renforcer les exportations de l’archipel; le Premier ministre, Shigeru Ishiba, a décidé de se rendre au DSEI Japan, un salon d’exposition dédié à la défense, devenant le premier chef de gouvernement à s’y rendre.
Jusqu’ici, les équipements militaires étaient réservés à la base de défense japonaise, en vertu d’une doctrine pacifiste héritée de la Seconde Guerre mondiale. Seuls les transferts de technologie vers les Etats-Unis étaient autorisés et considérés comme sûrs. En toute logique, le Japon ne représentait en 2024 que 0,1% des ventes d’armes mondiales, selon le SIPRI (Stockholm International Peace Reseach Institute) – quand ses voisins coréens et chinois pèsent eux pour 3,3 et 3,9%.
« Contribution proactive » et doutes vis-à-vis des Etats-Unis
Mais depuis 2013, Tokyo a développé une nouvelle doctrine, mise en pratique par l’ancien Premier ministre Shinzo Abe. La « contribution proactive au maintien de la paix » a ainsi consisté au développement de l’interopérabilité entre le matériel japonais et le matériel militaire de ses alliés. Il s’agit depuis une décennie pour le Japon d’entretenir son équipement comme ses alliés occidentaux, et de créer des entraînements communs.
Le problème c’est que le Japon a asphyxié une partie de ses savoir-faire militaires en refusant d’exporter. Des experts qualifient ainsi l’état du matériel nippon de « très mauvais », puisque le tissu industriel a en partie disparu, et que la maintenance se dégrade. Tokyo s’est en réalité beaucoup appuyé sur les Etats-Unis pour développer sa base de défense, achetant par exemple une quantité importante d’avions F-35 ou de radars SPY-7.
Or cette coopération avec les Etats-Unis se retourne désormais contre l’archipel, qui aurait perdu 100 de ses entreprises de défense en 20 ans. Le contexte géopolitique l’invite aussi à la prudence: avec l’attitude belliqueuse de Washington et sa remise en question du multilatéralisme, notamment via des attaques envers l’OTAN, le Japon ne peut plus s’en remettre aux forces américaines.
Allemagne, le Japon… Les pacifistes ressortent les couteaux
Une analyse partagée par plusieurs pays, notamment européens: l’Allemagne, pourtant traditionnellement opposée à la constitution d’un arsenal, a fait sauter son « verrou de la dette » pour augmenter notamment ses dépenses militaires; le Royaume-Uni a annoncé 1,5 milliard de livres pour la construction d’usines de munitions, dans le cadré d’un plan plus large chiffré à 15 milliards de livres.
L’Union Européenne, elle, espère 800 milliards d’euros pour son plan Readiness2030, présenté par Ursula Von der Leyen en mars 2025. Il doit imposer aux Etats-membres le relèvement de leurs dépenses de défense.
Quant à l’OTAN, enfin, il veut rediscuter des termes de la collaboration entre ses membres: les ministères de la défense nationaux discutaient début juin d’une hausse coordonnée des dépenses, jusqu’à 5% du PIB de chaque pays – un chiffre réclamé par Washington.
« Les États-Unis ne semblent pas vouloir assumer les responsabilités qui leur incombent en tant qu’alliés. Certains se demandent alors: « pourquoi investir dans leur économie? », appuie auprès de CNBC Trevor Taylor, directeur du programme Defence, Industries & Society au Royal United Services Institute, un think-tank britannique.
Depuis le début de l’année, les entreprises de la défense européennes ont ainsi été plébiscitées en bourse: +187% pour Rheinmetall, ou encore +78% pour Thales. La même dynamique touche les entreprises asiatiques, notamment coréennes (+165% pour Hanwha Aerospace). A l’inverse, les artilleurs américains sont à la peine : à peine +6% pour Northrop Grumman, et même -3% pour Lockheed Martin.