«Selon des journalistes russes, Fanny Ardant a qualifié la Russie de terre de poésie et de passion. Je dois décevoir Mme Ardant. La Russie est aujourd’hui une terre de guerre, de terrorisme et de sang.» Le 16 juin, Anton Gerachtchenko, ancien vice-ministre de l’Intérieur ukrainien, exprimait sur X sa déception et sa colère de voir une actrice française qu’il estimait se compromettre avec des proches de Vladimir Poutine tels que l’acteur et réalisateur Vladimir Machkov, directeur artistique du théâtre Oleg-Tabakov et du théâtre Sovremennik, une de ces rares personnalités du monde artistique ayant ses entrées au Kremlin.
Un article du Monde nous révèle que Fanny Ardant s’est bel et bien produite deux soirs de suite mi-juin en Russie après un voyage privé de deux jours à Tbilissi, en Géorgie. Elle a rejoué le seule en scène la Blessure et la Soif qu’elle avait donné au studio Marigny à Paris en avril 2024, adaptation du roman du même nom de Laurence Plazenet mis en scène par Catherine Schaub. Ardant y interprète Mme de Clermont, femme mariée, mère de famille, se consumant de passion pour son amant, neveu de son mari qui finit par l’abandonner et se casser en Chine. L’intrigue se déroule en France au XVIIe siècle pendant la Fronde.
L’article du Monde rapporte une conférence de presse devant des journalistes russes dont ceux de l’agence d’Etat Tass : «La pièce que vous allez voir, je l’ai jouée en juin dernier à Paris, et je m’étais dit immédiatement […] jouer à Paris ou à Moscou, c’est égal.» Ou encore : «Pour moi, la Russie est une terre de poésie. J’ai étudié [la littérature russe] de manière un peu désordonnée, mais je l’aime tout entière. Alors, quand on me dit : “Mais pourquoi vas-tu en Russie ?”, je n’ai d’autre réponse que : “Cela va de soi.”»
Le voyage moscovite de Fanny Ardant prend place dans un contexte où les films français continuent d’être distribués en Russie et à y connaître un franc succès, tout particulièrement les adaptations des romans d’Alexandre Dumas. Récemment, on a aussi pu voir Francis Lalanne poussé une beuglante intitulée Ma Russie dans un clip tourné sur la Place Rouge avec à ses côtés le même Vladimir Machkov.
Mais alors que les frappes russes sur l’Ukraine après trois ans d’un conflit ravageur se poursuivent, la présence de l’actrice est pour le moins embarrassante. Fille du colonel Jean Ardant, ancien chef de corps en Algérie, un proche du prince de Monaco, Rainier III, l’actrice a toujours eu cette image de vamp intello planant au dessus des tristes réalités du monde commun. En 2007 en Italie, elle avait créé la polémique et avait dû s’excuser après avoir accordé une interview où elle déclarait qu’elle tenait Renato Curcio, un des fondateurs des Brigades rouges, pour un «héros» : «Il n’est pas devenu un homme d’affaires comme de nombreux leaders du Mai 68 français.»
Le directeur du théâtre Vladimir Machkov, lui, milite pour le parti poutinophile, Russie unie et il est sous le coup de sanctions occidentales pour son soutien actif à l’invasion de l’Ukraine. Il est connu pour avoir déployé sur la façade du Théâtre Tabakov une immense affiche avec la lettre Z, symbole du soutien à l’«opération spéciale» de «dénazification de l’Ukraine», relayant ainsi la propagande du Kremlin. «Nous croyons tous en notre victoire et, grâce à nos soldats, en une victoire proche», déclarait-il l’an dernier sur la scène du Festival international du film de Moscou.
Fanny Ardant, 76 ans, vient par ailleurs de tourner un film avec Gérard Depardieu sur l’île de São Miguel aux Açores avec une production à 100 % portugaise. «L’histoire d’amour autour de deux femmes qui se trouvent sur une île mystérieuse» avec Depardieu dans le rôle d’un magicien. Le titre ? Elle regardait sans plus rien voir, ce qui paraît un bon résumé de la situation et un éclat de lucidité dans ce qui ressemble fort pour celle qui demeure associée à son rôle dans la Femme d’à côté de François Truffaut à lent dévissage vers le grand n’importe quoi.