Par
Ivan CAPECCHI
Publié le
21 juin 2025 à 9h43
À Strasbourg, la révolution des mobilités engagée par la municipalité se déploie à grande vitesse. Fidèle à sa vision d’une ville moins dépendante de la voiture, la majorité écologiste entend réorganiser en profondeur l’espace public, afin de le libérer au profit d’usages plus durables.
Transports collectifs renforcés, développement massif des mobilités actives, végétalisation, reconquête piétonne… C’est tout un modèle urbain qui est repensé, à l’aune de l’urgence climatique et des attentes d’une partie croissante de la population.
Mais sur le terrain, cette volonté de transformation se heurte parfois à des résistances, voire des frictions, concrétisées par l’arrêt brutal d’un projet emblématique, peut-être le plus important de tous : celui du tram nord. Une ambition réelle, mais semée d’embûches.
🗳 Élections municipales 2026 : un dossier spécial des rédactions d’actu.fr
Cet article fait partie du quatrième épisode de notre dossier spécial consacré aux maires de France qui font bouger les lignes, à l’occasion des élections municipales de mars 2026.
Dans ce dossier, « Écologie locale : le chantier de l’impossible ? », les rédactions d’actu.fr explorent les initiatives portées par les élus municipaux pour contribuer, à leur échelle, à la transition écologique.
À noter, les questions liées à l’alimentation et aux transports seront davantage développées dans de prochains épisodes.
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500 millions d’euros investis dans les mobilités
Au cours de son mandat, l’Eurométropole de Strasbourg investit près de 500 millions d’euros dans les mobilités et, tant la Ville que l’Eurométropole, ont lancé de nombreux plans en la matière.
Parmi les projets phares, on peut citer :
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- le Réseau express métropolitain européen (REME), qui, malgré un gros retard à l’allumage, a permis d’augmenter drastiquement l’offre de trains à Strasbourg et alentours (750 trains supplémentaires par semaine) ;
- un plan vélo à 100 millions d’euros qui prévoit, notamment, la création de 120 kilomètres supplémentaires de pistes cyclables ;
- la gratuité des trams et des bus pour les mineurs, effective depuis septembre 2021 (on estime à 80 000 le nombre de jeunes habitant dans l’une des 33 communes de l’Eurométropole) ;
- le prolongement de la ligne G de Bus à haut niveau de service (BHNS), de la gare jusqu’à la Cité Rotterdam, un secteur de Strasbourg considéré comme le premier grand ensemble construit en France après la Seconde Guerre mondiale ;
- ou encore l’extension du réseau de tram vers l’ouest (4 km de lignes, 8 nouvelles stations), qui doit être mise en service à la fin de cette année.
Tout cela fait dire à Jeanne Barseghian, la maire écologiste de Strasbourg élue en 2020, qu’il y a eu un « renforcement inédit de l’offre de mobilités sous toutes ses formes : train, bus, tram, vélo, piétons… ».
Jeanne Barseghian, maire Les Ecologistes de Strasbourg. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)Ring vélo et transformation de la gare routière
Pour ce qui est de la Ville plus spécifiquement, d’importants projets de mobilité ont également été lancés, tels que le ring vélo, un contournement cyclable et piéton de la Grande-Île de près de 4 km, qui visera à alléger le trafic cycliste dans l’espace piéton du centre-ville et dont la réalisation doit s’achever (*) d’ici la fin du mandat.
Voici le type d’aménagements réalisés dans le cadre du ring vélo. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)
Il y a aussi la transformation du secteur des Halles, véritable « sac de nœuds » en hypercentre, selon les mots de Jeanne Barseghian, où la gare routière est en train d’être transformée en halte routière – les bus passeront désormais sans s’arrêter, pour faire court – afin de libérer de l’espace.
L’échec de la circulation alternée rue Mélanie
L’aménagement de la rue Mélanie à Strasbourg, pourtant conçu pour sécuriser les cyclistes et favoriser les mobilités douces, a rapidement suscité une vive polémique. La mise en place d’un système de circulation alternée, combinée à des zones de croisement trop étroites, a engendré des embouteillages réguliers, des conflits d’usage et une gêne notable pour les riverains comme pour les automobilistes. Jugé « impraticable » voire « absurde » par certains habitants et élus, le dispositif a été largement critiqué pour son exécution défaillante et son coût élevé, proche du million d’euros. Face à la grogne locale et à la pression politique croissante, la municipalité écologiste a finalement annoncé des travaux correctifs en juin 2025 : retour au double sens automobile, réorganisation du stationnement, mais maintien d’une piste cyclable sécurisée. Un rétropédalage assumé, présenté comme un rééquilibrage après concertation, mais qui a nourri les critiques sur la gestion de certains projets de voirie à Strasbourg.
La grande réforme du stationnement
Une autre réforme phare de la Ville de Strasbourg concerne le stationnement. Une réforme d’ampleur, aux conséquences multiples.
Globalement, la collectivité a augmenté les tarifs en voirie, passé de nouveaux secteurs en zone rouge – la zone la plus chère – élargi le périmètre du stationnement payant à des quartiers qui en étaient exemptés, augmenté le prix du stationnement résident pour certains habitants, mais aussi lancé un nouvel abonnement résidents dans les parkings en ouvrage publics.
L’opposition y voit une « bunkerisation » du centre-ville, ce que dément la maire :
Les chiffres montrent le contraire (**), il n’y a jamais eu autant de monde dans le centre-ville de Strasbourg.
Jeanne Barseghian
Maire de Strasbourg
Libérer l’espace public de la voiture
L’objectif affiché par la mairie écologiste est clair : libérer l’espace public de la voiture afin de pouvoir se le réapproprier au profit d’autres usages, des usages plus en phase avec l’évolution de la société, comme l’intensification de la pratique du vélo.
Le croisement de la route de Vienne et du quai du Général Koenig à Strasbourg était connu pour être un gros point noir pour la circulation des vélos. C’est désormais un lointain souvenir. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)
Pour reprendre l’expression de Pierre Ozenne, l’adjoint qui a porté cette réforme, il s’agit de « ranger les voitures différemment » : d’un stationnement horizontal, on passe à un stationnement vertical, d’où la volonté d’augmenter le prix du stationnement en voirie (horizontal) pour rendre plus incitatif le stationnement en parking en ouvrage (vertical).
Pierre Ozenne, adjoint à la maire de Strasbourg en charge des espaces publics partagés, voiries et foires et marchés, dans son bureau. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)L’exemple du quartier du Neudorf
En guise d’illustration, Jeanne Barseghian prend l’exemple du quartier du Neudorf, un quartier de périphérie dense et dynamique, qu’elle connaît bien pour y vivre depuis près de 15 ans et qui est passé en payant au 1er juin 2024. « La gratuité avait plusieurs effets pervers », constate l’élue, avant de développer :
Des personnes travaillant en centre-ville avaient pris l’habitude de se garer au Neudorf, transformant le quartier en parking à ciel ouvert, ce qui compliquait fortement le stationnement pour les habitants. Le stationnement sauvage était fréquent sur les trottoirs, rendant la circulation difficile.
Jeanne Barseghian
Maire de Strasbourg
Le 1er juin 2024, le quartier du Neudorf à Strasbourg est passé au stationnement payant, une mesure prise dans le cadre de la grande réforme du stationnement initiée par la majorité écologiste. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)Une réforme impopulaire…
Sur le terrain, la réforme fut parfois mal vécue, les hausses de prix étant jugées trop brutales par certains.
D’autres ont critiqué le fait que les alternatives proposées n’étaient pas pleinement opérationnelles au moment du lancement de la réforme : par exemple, comme dit plus haut, le Réseau express métropolitain européen (REME) a souffert d’importants retards à l’allumage.
Enfin, des éléments de langage ont été reprochés à la mairie, comme le fait de présenter l’évolution du prix du stationnement résident comme la mise en place d’une tarification solidaire. Certes, les habitants paient désormais en fonction de leurs revenus (de 15 €/mois à 40 €/mois) sauf qu’auparavant… tout le monde payait 15 € / mois (un montant particulièrement bas pour une ville de cette taille, cela dit).
… mais « d’intérêt public », selon la Ville
L’aspect impopulaire de cette réforme, l’adjoint Pierre Ozenne ne le nie pas, mais « le courage politique » a justement été de la mener à son terme, à ses yeux. Car il s’agissait d’une « réforme d’intérêt public », pas destinée à « récupérer du fric ».
Là encore, un sentiment pas forcément partagé par tout le monde, surtout depuis la mise en place, début 2024, du système LAPI, autrement appelé « voiture à PV », voire « sulfateuse à PV », tant ce système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation est redoutable d’efficacité.
De son côté, Nicolas Matt, conseiller municipal d’opposition (Renaissance), évoque la hausse concomitante des prix du stationnement en voirie avec celle des tarifs de la CTS (la compagnie locale de trams et de bus), en tout cas en ce qui concerne les voyageurs occasionnels. Un « mauvais signal », selon l’opposant, alors qu’il aurait fallu encourager le recours aux transports en commun. Sur ce point, Pierre Ozenne reconnaît un manqué : « Cela a brouillé le message ».
Arrêt brutal du projet de tram nord
Toujours est-il que cette réforme a pu être menée à son terme. Contrairement à l’extension du tram vers le nord, un projet estimé à 268 millions d’euros et qui a reçu, en décembre 2024, un avis défavorable de la commission d’enquête. Une décision rare.
Bien que le ton du rapport rendu par la commission d’enquête interroge, ce dernier est particulièrement bien documenté et soulève de nombreux problèmes (***). L’opposition n’a pas manqué de les souligner. À l’instar de Pierre Jakubowicz, conseiller municipal d’opposition (Horizons), qui avait lui-même présenté un contre-projet.
Depuis 30 ans, Strasbourg était parvenue à faire des transports un motif de fierté et de rassemblement [Strasbourg fait partie des premières grandes villes françaises à avoir remis en service un réseau de tramways, NDLR]. Au cours de son mandat, la maire de Strasbourg est parvenue à en faire un sujet de fracture et d’opposition.
Pierre Jakubowicz
élu d’opposition (Horizons) à la Ville de Strasbourg
« Depuis 1989, le tram moderne a fait son retour à Strasbourg. Il est notable de remarquer que, depuis cette date, c’est une maire écologiste qui aura fait le moins de kilomètres de tram », enfonce Jean-Philippe Vetter, autre membre de l’opposition (LR).
« Ce qui compte, ça n’est pas le nombre de kilomètres, mais l’usage qui en est fait et le décloisonnement de certains territoires, comme par exemple ce qui va se produire avec le tram ouest concernant le quartier Poteries – Hohberg », contre-attaque Jeanne Barseghian.
Jean-Philippe Vetter (LR), conseiller municipal d’opposition, candidat aux prochaines élections municipales. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)La mise en place d’une convention citoyenne critiquée
Peu de temps après l’annonce de l’avis défavorable, la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg ont annoncé leur intention de « ne pas passer en force » et de se remettre au travail pour présenter un nouveau projet. Dans la foulée, elles ont dévoilé une nouvelle méthode de travail, avec notamment la mise en place d’une convention citoyenne.
Concrètement, 100 habitants ont été tirés au sort afin de plancher sur ce dossier et d’émettre des préconisations.
Un choix largement critiqué par l’opposition, qui y voit un « gâchis de temps et d’argent », selon les mots de Pierre Jakubowicz, lequel aurait préféré que l’on s’appuie sur les 7 000 contributions reçues dans le cadre de l’enquête publique. « Cela n’efface par les contributions qui ont été faites dans le cadre de l’enquête publique, puisque ces 100 citoyens s’appuient sur l’ensemble des études et sur le rapport de la commission d’enquête », rétorque la maire.
Candidat non déclaré, Pierre Jakubowicz entend, dans tous les cas, jouer un rôle dans le cadre des prochaines élections municipales. (©Document remis)
Pour l’heure, le projet de tram nord est repoussé à après les élections municipales de 2026.
Des transformations qui bousculent les habitudes
Pour résumer, les transformations enclenchées ces cinq dernières années sont indéniables, et la maire de Strasbourg se félicite par ailleurs d’avoir pris à bras le corps certains « serpents de mer » qui n’aboutissaient jamais, comme le « projet de gare à 360 degrés », qui prévoit notamment la transformation du parking Indigo souterrain en parking à vélos (3 000 places sont prévues à cet effet).
A terme, le parking Indigo situé sous le parvis de la gare de Strasbourg pourra accueillir 3 000 vélos. (©Ivan Capecchi / Actu Strasbourg)
Ceci étant dit, ces transformations charrient leur lot de polémiques ou d’incompréhensions sur le terrain.
Pour Floriane Varieras, coprésidente du groupe Strasbourg écologiste et citoyenne au conseil municipal de Strasbourg, il peut difficilement en être autrement : « Si on veut transformer l’espace public ou même la ville, cela veut dire changer les choses, parfois drastiquement, et donc il y a forcément un revers de la médaille ». « Cela suppose de changer les habitudes, ce qui peut nécessiter un temps d’adaptation », abonde Jeanne Barseghian.
« On aurait sans doute pris moins de risques en se contentant d’un mandat de gestion, en gouvernant de manière consensuelle et en opérant des changements à la marge. Mais nous avons choisi de porter un véritable projet de transformation, avec une sincérité profonde », complète Benjamin Soulet, l’autre coprésident du groupe cité précédemment. Une transformation pleinement assumée face à l’urgence climatique et aux enjeux de mobilités durables… quitte à heurter.
(*) D’ici à la fin du mandat, le ring sera réalisé dans sa globalité, excepté deux tronçons : un au niveau des ponts couverts, l’autre du côté des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS).
(**) D’après des données MyTraffic, un outil qui réalise un comptage via des données de téléphonie mobile anonymisées, la fréquentation du centre-ville de Strasbourg n’a cessé d’augmenter depuis la fin de la crise sanitaire.
(***) Dans son rapport, la commission d’enquête pointe de nombreux motifs d’insatisfaction pour justifier son avis défavorable, tel qu’un tracé perfectible, la circulation rendue compliquée en plusieurs endroits de la ville, un flou autour du chiffrage du projet ou encore son aspect fourre-tout.
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