Trente-cinq mille paires d’yeux et presque autant de téléphones. Tous sont rivés sur la même flamme vacillante, derrière la large scène où se succèdent les artistes réunis pour la fête de la Musique. L’impatience est palpable dans les regards, les attitudes.
Son décollage avait été annoncé à 22h11 précises, ce samedi soir. La vasque de Paris 2024 est au rendez-vous. Soulevée par un gigantesque ballon de 30 m de haut et de 22 m de diamètre, elle amorce lentement sa montée, au-dessus du jardin des Tuileries. Une grande première depuis la fin des Jeux olympiques et paralympiques en septembre dernier.
« T’as vu comme c’est beau », souffle Elsa à l’un de ses amis. Une larme roule sous ses yeux clairs. L’étudiante en art de 20 ans est venue de Nice tout spécialement pour voir la vasque. « Comme un rendez-vous » qu’elle ne pouvait pas manquer avec cet emblème qu’elle n’a vu que de jour l’été dernier. « C’était hyper poétique, s’enthousiasme la jeune femme, originaire de Seine-et-Marne. Vous avez vu l’oiseau qui a traversé la scène juste au moment où elle est montée ? »
La vraie star de la soirée, c’est elle
Après avoir joué à cache-cache avec le ballon, le soleil bouillant de ce samedi caniculaire a fini par se faire rattraper par le crépuscule. Pas de quoi faire flancher le mercure du thermomètre. Depuis plus d’une heure déjà, un concert XXL gratuit retransmis en live sur France 2 fait vibrer la scène installée à deux pas de la pyramide du Louvre pour la fête de la musique. Bernard Lavilliers, Jeanne Added, Camille, Kalash… se partagent l’affiche pour revisiter chacun à leur tour des classiques de la chanson française et internationale.
Mais qu’importent les grands noms. Ce samedi, la vraie star de la soirée, c’est elle. La vasque rallume la flamme au sens propre… Comme au sens figuré.
Pour accompagner cette renaissance à 60 m de hauteur, les notes remixées de Sauver l’amour de Daniel Balavoine résonnent avec la voix originelle du chanteur. Le compositeur Victor le Masne, directeur musical des cérémonies des Jeux de Paris et auteur de l’inoubliable hymne « Parade », a fait renaître ce tube dans une version orchestrée.
« JOstalgie »
Laura a les yeux qui brillent au moins autant que les paillettes qu’elle a disséminées sur son visage. Un seul mot vient à l’esprit de cette Parisienne de 59 ans : « féerique ». Elle serre dans ses bras son compagnon. Pour le couple, c’était « la session de rattrapage ». L’été dernier, Laura et André avaient tenté de venir voir la vasque mais un orage de dernière minute avait empêché son envol. « C’était l’avant-dernier soir, rembobine Laura. Je pensais ensuite qu’elle partait pour de bon. J’ai été tellement contente quand j’ai su qu’elle revenait. »
La vasque a atteint son point culminant. Elle se laisse bercer dans les airs. Parade, le grand tube des JO, emplit maintenant le jardin. Une once de JOstalgie s’empare du public. Mais 2024 est bel est bien passé. La voix de Céline Dion qui chante l’Hymne à l’amour depuis la tour Eiffel, la pluie battante et l’effet de surprise ont été remisés dans l’album souvenirs. Seul reste cet objet volant enflammé.
Le 26 juillet 2024, l’envol soudain de cette toute première vasque olympique aérienne prenait de court des milliers de spectateurs et de téléspectateurs en France et dans le monde. Le secret avait été bien gardé. Mais quelques jours plus tard, ce sont les organisateurs qui se faisaient à leur tour surprendre par le succès de cet objet volant.
Des dizaines de milliers de visiteurs se sont très vite donné rendez-vous chaque soir pour voir ce drôle d’astre briller dans la nuit. C’est le designer français Mathieu Lehanneur qui l’a imaginé sur sa planche à dessin. Le groupe Aerophile a fourni le ballon gonflé à l’hélium. Et les ingénieurs d’EDF ont, eux, mis au point une flamme électrique inédite, faite de brumisation de particules d’eau sur des faisceaux de lumière.
« Presque un monument parisien »
Encore fallait-il lui trouver un écrin à sa mesure. Entre le Louvre et la l’obélisque de la Concorde, le grand bassin des Tuileries sera finalement son camp de base. La journée, plus de 200 000 créneaux ont été réservés pour l’admirer de près. Comme pour les anneaux olympiques, la question a surgi dès les premiers jours qui ont suivi la cérémonie d’ouverture : fallait-il conserver ce symbole normalement éphémère au cœur de la capitale ? Si oui, où, sur quelle durée et dans quelles conditions ?
Au-delà des pour et des contre, des contraintes techniques devaient notamment être résolues pour rendre la vasque et son ballon suffisamment résistants. Plusieurs autres lieux ont aussi été évoqués pour l’accueillir. Thomas, 44 ans, aurait trouvé dommage de ne jamais la revoir. Ce Nantais ne l’avait vue qu’à la télé jusqu’à ce soir. « Je l’avais trouvée magnifique. Tout le monde y semble très attaché. C’est presque devenu un monument parisien. »
Le débat a finalement été tranché fin janvier par un tweet d’Emmanuel Macron : « Elle reviendra chaque été. De la fête de la musique à la fête du sport, jusqu’aux Jeux de Los Angeles. » Autrement dit, la vasque sera au rendez-vous cet été jusqu’au 14 septembre mais aussi les deux prochains. De quoi tourner en douceur la page des JO. Elsa, elle, en est déjà convaincu. Elle reviendra la voir cet été. « C’est un peu comme un feu d’artifice, c’est ce qu’on attend toute la soirée. »