Par

Antoine Grotteria

Publié le

22 juin 2025 à 7h50

À 79 ans, Marcel possède une santé de fer. Au sens littéral. Depuis des dizaines d’années, le retraité à l’impeccable silhouette et aux mollets dessinés débarque à la fontaine de la place Paul-Verlaine, dans le quartier de la Butte-aux-Cailles, au cœur du 13e arrondissement de Paris, avec de grands récipients. « L’eau de Paris est dégueulasse. Ici, c’est beaucoup plus propre », explique-t-il en remplissant sa dizaine de bidons. Quelques minutes après cette action ritualisée, il enfourche sa bicyclette et file dans le 14e arrondissement, où il réside. Le septuagénaire est loin d’être le seul à s’abreuver aux quatre canalisations en acier. Et pour cause, la chaleur point en cette fin de matinée du mardi 17 juin 2025. Le stock doit être musclé pour affronter les températures caniculaires de la semaine. Dans la capitale, le mercure pourrait même frôler les 40 degrés ce dimanche 22 juin.

Puisée à 600 mètres sous terre

Joël et Claudine ont sorti les bonbonnes d’eau. « Elle est très bonne ici. On l’utilise à la fois pour boire, cuisiner et même pour laver certaines choses », assure la septuagénaire en observant son époux à la tâche. « Cela représente une vraie différence par rapport à l’eau du robinet, qui est très calcaire ». Le couple dispose de ses habitudes dans le quartier. Et ce n’est pas le déménagement près du parc Montsouris qui leur ôtera l’envie de venir.

Ces habitués connaissent parfaitement l’histoire de cette source. Contrairement à Raba. Ce retraité a récemment installé ses affaires en contrebas de l’ancienne petite colline. Depuis quelques mois, il vient deux à trois par semaine sur la place Paul-Verlaine.

« C’est une eau exceptionnelle. Je ne peux pas m’en passer. Mais j’aimerais connaître le secret »

Raba
Habitant du quartier de la Butte-aux-Cailles

L'eau de la fontaine la Butte-aux-Cailles est puisée à plus de 600 mètres sous la terre.
L’eau de la fontaine la Butte-aux-Cailles est puisée à plus de 600 mètres sous la terre. (©AG/ actu Paris)

Le secret ne peut faire l’économie de convocations historiques. Car cette fontaine publique est alimentée par un puits artésien, baptisé ainsi en raison de la découverte des moines de l’Artois de ce principe, à 600 mètres sous la surface de la terre, depuis plus d’un siècle. Au 19e siècle, le baron Hausmann, chargé d’appliquer une politique hygiéniste, lance des travaux de forage pour apporter de l’eau potable à la population, largement composée de prolétaires, et alimenter La Bièvre. La Commune retarde le chantier. Ce dernier s’achève finalement en 1904.

Un panneau retrace l'histoire de cette fontaine du quartier de la Butte-aux-Cailles. Des origines sous le Second Empire à sa rénovation en 1999.
Un panneau retrace l’histoire de cette fontaine du quartier de la Butte-aux-Cailles. Des origines sous le Second Empire à sa rénovation en 1999. (©AG/ actu Paris)Immunisée des polluants éternels

Rénovée au tournant du 20e siècle, la fontaine coule une eau vieille de 25 000 ans, provenant de la nappe de l’Albien, qui renferme 700 milliards de mètres cubes. Un vestige de l’histoire assez rare. Outre le 13e arrondissement, seuls deux puits artésiens sont présents dans la capitale : au square Lamartine (16e) et au square de la Madone (18e).

Riche en fer et en fluor, l’eau reste bien protégée des polluants éternels, ou per- et polyfluoroalkylées (PFAS), présents dans de nombreux robinets. Cette contamination, induite par les activités humaines et industrielles, a poussé la Ville de Paris à déposer une plainte contre X en mars dernier. Car ces composés sont classés cancérogènes, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ils pourraient également représenter des perturbateurs endocriniens, à l’origine d’altération de « fonctions de l’organisme », note l’Inserm.

De son côté, l’Agence régionale de la santé (ARS) d’Île-de-France effectue régulièrement des relevés pour mesurer la qualité de l’eau de la fontaine de la Butte-aux-Cailles. Les indicateurs sont au vert, comme il est mentionné sur une feuille de compte-rendu accrochée sur un panneau près du site. 

Un compte-rendu d'analyses de la qualité de l'eau par l'Agence régionale de la santé d'Île-de-France.
Un compte-rendu d’analyses de la qualité de l’eau par l’Agence régionale de la santé d’Île-de-France. (©AG/ actu Paris)

Sollicitée par actu Paris, l’institution nous a adressé le dernier contrôle sanitaire, qui remonte à avril dernier. Il en ressort que « sur les 25 échantillons prélevés, tous les résultats d’analyses sont conformes à la réglementation ». L’ARS estime, au regard des évaluations, que l’eau est « de bonne qualité« . Une campagne menée en 2024 n’a « pas mis en évidence la présence de PFAS, de pesticides ou métabolites« , assure-t-elle. 

Catherine n’a pas besoin de s’appuyer sur ces analyses. « J’ai totalement confiance en cette source. Quand je suis à Paris, je viens toutes les semaines, que ce soit en hiver ou en été », indique-t-elle. Parfois, la dame échange avec des riverains. « C’est un lieu de diversité et de mixité. La fontaine, ça rassemble le SDF du coin, le directeur général et l’ouvrier ». Un environnement populaire cristallisé dans ce générateur gratuit. Et qui devrait encore couler de beaux jours.

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