Par
Yann Rivallan
Publié le
23 juin 2025 à 6h47
Il est incapable de prononcer des mots. Mais dans sa gestuelle, on ressent aisément toute la détresse d’Hassan, sourd de naissance. Avec l’aide d’une interprète en langue des signes, ce Marocain arrivé en France en 2016 nous raconte l’horreur du foyer de l’Abbé Bazire géré par Émergence-s à Rouen, où il dit avoir été violé, agressé et exploité pendant plus d’un an.
Travail « du matin au soir, sans interruption »
Aux côtés de son ami Youssef, il revient péniblement sur son passage dans ce foyer d’accueil, aussi appelé Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans le jargon.
C’est en janvier 2022 qu’Hassan est admis à l’Abbé Bazire. Un établissement géré par l’association Emergence-s et dont il ne connaît rien à l’époque. Là, en plus de son hébergement, il signe un contrat de travail dit d’insertion. En clair, il est censé recevoir un petit salaire pour diverses tâches ménagères au sein du foyer.
D’après lui, il travaillait « du matin au soir, sans interruption ou presque ». Il dit même avoir travaillé le samedi et le dimanche. C’est simple : « Dès que j’avais fini une tâche, on m’en donnait une autre », raconte-t-il par le biais de son interprète.
Deux viols en fin d’année 2023
Mais le pire est à venir. En octobre 2023, le natif du Maroc explique avoir été victime de viol dans sa chambre. Un résident serait entré en pleine nuit et lui aurait imposé une fellation alors qu’il dormait.
À peine un mois plus tard, en novembre, Hassan est cette fois violé pendant qu’il prend sa douche. Selon son récit, un homme serait entré dans la cabine où il se trouvait un soir, aux alentours de 22 heures. Il l’aurait menacé avec un couteau avant de passer à l’acte.
Le résident aurait, à chaque fois, « donné l’alerte aux éducateurs », rapporte son interprète. Mais rien ne s’est passé. D’autant que selon lui, son handicap rendait ses échanges difficiles avec le personnel d’Emergence-s ou les autres résidents du foyer.
Des agressions répétées
Pendant plusieurs jours après sa deuxième agression, Hassan aurait dormi dans le self du foyer, par peur de se faire de nouveau agresser. Dans les mois qui ont suivi, il aurait été confronté à diverses agressions sexuelles. « On lui touchait les fesses, des résidents s’exhibaient devant lui ou lui faisaient des propositions de nature sexuelle », liste son interprète. Malgré ça, Hassan est resté près d’un an dans le foyer.
J’avais peur qu’ils me jettent à la rue.
Hassan
Victime de viols à l’Abbé Bazire
En décembre 2024, son ami Youssef — sourd également — a donné l’alerte à Signes Moi, une association spécialisée dans l’accompagnement des personnes sourdes et malentendantes à Rouen, après avoir vu l’état d’Hassan se détériorer au fil des mois : « Je voyais bien qu’il n’était pas comme d’habitude. » Grâce à eux, il a pu être relogé en urgence.
Enquête ouverte pour des faits de viol
C’est durant ce mois de décembre 2024 que le sourd d’origine marocaine a dévoilé son calvaire. Dans la foulée, au mois de janvier 2025, Signes Moi saisi le procureur de la République de Rouen. En février, Hassan est auditionné puis reçu par un médecin du Centre d’accueil spécialisé pour les agressions (Casa) au CHU de Rouen pour être examiné.
Suite à l’audition, Hassan dépose officiellement plainte et une enquête est ouverte pour faire la lumière sur ces agressions. Au passage, il transmet un avis de passage à la clinique Saint-Antoine de Bois-Guillaume, où il s’est rendu par ses propres moyens le jour de son deuxième viol, en novembre 2023.
Selon cet avis, que 76actu a pu consulter, des soins lui ont été prescrits pour une déchirure anale.
Non-assistance à personne en danger et travail dissimulé
En plus de cette plainte pour viols et agressions sexuelles, l’association Signes Moi a décidé de poursuivre Emergence-s, l’association en charge du foyer de l’Abbé Bazire, pour non-assistance à personne en danger et travail dissimulé.
Emergence-s, plus grosse association de Rouen et qui s’occupe du foyer de l’Abbé Bazire, est en redressement judiciaire depuis plusieurs mois. (©TR/76actu/Archives)
L’association d’accompagnement des personnes sourdes et malentendantes reproche tout d’abord l’absence totale de prise en charge d’Hassan lors de ses signalements d’agressions aux éducateurs.
Sur le volet du travail dissimulé, c’est clairement le contrat de travail d’insertion qui pose problème. Selon Lola Leguest, représentante de l’association, « l’Urssaf n’a pas été en mesure de retrouver un quelconque contrat de travail au nom d’Hassan ». Et d’après les témoignages recueillis, il n’aurait très souvent pas reçu l’entièreté de son maigre salaire : « Il nous a dit qu’on lui donnait souvent 50 euros en liquide au lieu des 200 prévus à cause d’un manque d’argent », poursuit la bénévole.
Le président d’Emergence-s répond
Sollicité sur ces trois plaintes, le président de l’association Emergence-s François Basset nous indique : « Nous ne trouvons trace d’aucun résident ou personne accompagnée sous le nom mentionné. » De plus, le président de l’association dit n’avoir reçu « aucune notification officielle ou administrative nous informant d’une quelconque situation en lien avec ce nom. »
Pourtant, le parquet de Rouen nous confirme qu’une enquête est toujours en cours pour retrouver les agresseurs.
Aujourd’hui, Hassan se reconstruit doucement. Il est toujours hébergé par Signes Moi et bénéficie de soins et d’un soutien psychologique. Malgré un environnement plus stable, il a fait « une tentative de suicide en novembre », indique Lola Leguest.
« Il reprend du poil de la bête », poursuit-elle. L’association l’accompagne dans ses demandes de régularisation et dans les démarches pour bénéficier d’une allocation aux adultes handicapés.
Mais Youssef, l’ami de Hassan, est toujours remonté : « Comment est-ce possible que de tels actes existent encore en 2025 ? » « Visiblement, nous ne sommes pas tous égaux, dit-il par le biais de son interprète en langue des signes. Ils l’ont détruit. »
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